Le coût de l’infertilité
Avoir un enfant n’est pas à la portée de tout le monde, surtout quand on souffre d’infertilité. En plus d’être un parcours semé d’embûches sur les plans physique et émotionnel, le recours à des traitements de fertilité peut coûter cher. La facture risque de rapidement s’élever à des milliers, voire des dizaines de milliers de dollars.
Jusqu’où peut-on aller pour réaliser le rêve de devenir mère? Le Devoir a recueilli des témoignages de femmes qui lui expliquent les embûches rencontrées, et qui ont refusé d’abandonner même si les tentatives se prolongent et que la note peut grimper dans les six chiffres.
« Ça prend du courage, de la débrouillardise et de la résilience », raconte Véronique Lévesque, qui a déboursé plus de 100 000 $ en traitements de fertilité au cours de la dernière décennie, selon ses estimations.
Véronique Lévesque
Véronique a toujours su qu’elle aurait du mal à tomber enceinte puisqu’elle vit avec un diagnostic de maladie de Crohn depuis l’âge de 4 ans. « Les médecins m’avaient prévenue que j’allais avoir besoin d’aide pour avoir un enfant. »
L’infertilité est une maladie qui affecte le système reproducteur masculin ou féminin et qui se définit par l’incapacité d’obtenir une grossesse après 12 mois ou plus de rapports sexuels réguliers non protégés.
Source: Cette photo représente le nombre de médicaments nécessaire à quatre des neufs fécondation in vitro de Véronique
À l’âge de 25 ans, elle se rend compte que ses problèmes de fertilité sont bien réels et elle se décide à aller consulter. « Le constat était que j’avais une basse réserve ovarienne à cause de mon passé médical et des interventions chirurgicales qui avaient affecté la région pelvienne », explique-t-elle.
Stimulation ovarienne : Prise de médicaments stimulants pour provoquer une ovulation contrôlée chez les patientes qui n’ovulent pas régulièrement.
Insémination artificielle ou intra-utérine (IUU) : Introduction de sperme concentré dans le col de l’utérus de la patiente à l’aide d’un cathéter flexible. Il peut s’agir du sperme du conjoint de la patiente ou de sperme provenant d’une banque de dons. Les trois premières inséminations comptent les meilleures chances de succès.
Fécondation in vitro (FIV) : Technique qui consiste à prélever des ovules et un échantillon de sperme, puis à procéder à une fécondation en laboratoire. L’embryon ainsi créé est ensuite transféré dans l’utérus de la patiente ou congelé pour être utilisé plus tard.
En 2014, alors âgée de 29 ans, Véronique se rend pour la première fois en clinique de fertilité privée pour en savoir plus sur les options qui s’offrent à elle pour avoir un enfant.
Véronique estime avoir dépensé 106 000 $ jusqu’à maintenant pour essayer de tomber enceinte. Aujourd’hui âgée de 40 ans, elle a déjà quelques fois pensé « mettre un genou à terre », confie-t-elle. « Mais chaque fois, le désir d’avoir un enfant revient de façon viscérale. »
Des dépenses
qui s’accumulent
17,5%
Dans le monde, un peu plus d'une personne sur six est touchée par l’infertilité, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
L'OMS souligne qu’il s’agit d’un « problème sanitaire majeur » et qualifie d’« urgent » l’accès à des soins de fertilité abordables dans un contexte où les coûts des traitements sont élevés.
Au Québec, la couverture de ces traitements a fluctué au cours du temps. Un premier programme de la Régie de l’assurance maladie (RAMQ) est instauré en 2010 et couvre notamment les soins liés à trois cycles de FIV.
Or, cinq ans plus tard, le gouvernement abolit la couverture publique de la FIV. Le système public continue cependant de couvrir les inséminations artificielles.
À partir de novembre 2021, un nouveau programme de la RAMQ pour la couverture des traitements de fertilité est mis en place. La FIV est de nouveau couverte, mais pour un premier cycle seulement.
Céline Braun, présidente de l’Association des couples infertiles du Québec, qui a été consultée lors de l’élaboration du programme, plaidait pour que le gouvernement prenne en charge deux cycles de FIV. Cette demande n’a pas été retenue.
Régie de l’assurance maladie du Québec : La RAMQ rembourse un seul cycle de fécondation in vitro, et ce, à vie. D’autres frais sont remboursés, notamment la stimulation ovarienne et un maximum de six inséminations artificielles. Toutefois, ce ne sont pas toutes les cliniques qui font affaire avec la RAMQ. Par exemple, la clinique privée Fertilys s’en est désaffiliée il y a deux ans.
Crédit d’impôt : Si des traitements n’ont pas été remboursés par la RAMQ, ils peuvent être réclamés dans le cadre du crédit d’impôt pour le traitement de l’infertilité. Il s’agit d’un crédit d’impôt remboursable du Québec. Selon le revenu familial, le montant maximal de ce crédit peut atteindre 4000 $ à 16 000 $ par an.
Malgré l’aide du gouvernement, les patients doivent tout de même rapidement sortir le chéquier, observe-t-elle. « Il faut s’absenter du travail, prendre des congés, parfois sans solde. Ce sont des coûts supplémentaires auxquels on ne pense pas directement », note Mme Braun.
Fréquemment, il arrive aussi que les couples doivent consacrer du temps et de l’argent pour consulter un psychologue, qui les accompagne dans ce processus, ajoute-t-elle.
C’est entre autres le cas de Catherine Lalonde. « En tout, on est à environ 45 000 $. Ça monte très vite. Les médicaments et les procédures coûtent très cher, mais il y a aussi tout ce qui vient à côté », note celle qui a fait deux inséminations et cinq cycles de FIV jusqu’à maintenant.
Pour mettre toutes les chances de son côté, Catherine fait de l’acupuncture, de l’ostéopathie. Elle voit une psychologue, une physiothérapeute en rééducation pelvienne et une nutritionniste. Elle prend des vitamines et a aussi changé tous ses produits pour des produits naturels. « Je suis une intense. Toutes les femmes en fertilité sont intenses, mais moi, avec mon âge, j’ai 38 ans, je n’ai pas de temps à perdre. »
Si Catherine estime que ce parcours de fertilité a renforcé sa relation avec son conjoint, ce n’est pas le cas de tous. « On a vu tellement de couples se séparer à cause de la difficulté de ces traitements et de toutes les conséquences que cela peut apporter », observe Mme Braun.
Quand les efforts paient
En octobre 2018, Virginie Bisson a 23 ans lorsqu’elle commence à essayer d’avoir un enfant avec son conjoint. Après un an et demi de tentatives de procréation naturelle, elle comprend que quelque chose cloche.
Elle commence les traitements de fertilité en 2020. « En pleine pandémie, j’ai commencé les inséminations à l’hôpital Sainte-Croix de Drummondville », raconte-t-elle.
En tenant compte des coûts pour « les médicaments, les différents déplacements et les journées de travail manquées », Virginie estime avoir déboursé 1000 $ supplémentaire depuis le début de ses traitements.
« Selon mes calculs, je suis environ à 17 000 $ de frais », évalue-t-elle. Avec les dépenses couvertes par le public, le montant total de ses traitements s’élève à près de 31 500 $. Il lui reste encore deux embryons congelés, qu’elle pourra utiliser si elle et son conjoint désirent un autre enfant.
Jusqu’à l’endettement ?
Après un parcours de fertilité de 5 ans et demi, Virginie Bisson et son conjoint accueilleront leur premier enfant en octobre prochain.
Jusqu’à présent, Véronique, Catherine, Virginie et leurs conjoints respectifs n’ont pas eu besoin de souscrire à un prêt financier pour financer leurs traitements.
Mais certains couples doivent quant à eux s’endetter pour espérer concrétiser leur rêve de fonder une famille. Laurie Christensen et sa conjointe ont obtenu un prêt avec Desjardins.
« Ils nous [prêtent] 35 000 $ par enfant. Si on en veut un deuxième, ils peuvent nous redonner le même montant », explique Laurie. Mais les frais d’intérêt sont élevés. Avec un taux fixe de 8,7 % sur toute la durée du contrat, qui s’étale sur dix ans, les intérêts s’élèvent à plus de 15 700 $. Ce à quoi il faut ajouter environ 1600 $ en assurance prêt.
Ainsi, au cours des dix prochaines années, Laurie et sa conjointe devront rembourser plus de 52 300 $ à leur institution financière, soit à peu près 200 $ toutes les deux semaines sur toute la durée du contrat.
« J’ai remboursé 28 000 $ de dettes que j’avais [liées au parcours de fertilité]. Il nous reste donc 7000 $ que nous pourrons utiliser pour deux prochains transferts d’embryons », explique Laurie.
Les limites financières sont propres à chacun des couples rencontrés. Et pour certains, l’élastique s’étirera jusqu’à la naissance de leur enfant. « Ma limite, c’est le moment où j’aurai un bébé dans mes bras », affirme Catherine Lalonde.