Il y a 20 ans, les défusions faisaient éclater Montréal

L’ex-maire de Montréal, Gérald Tremblay, fait un casse-tête mille morceaux chez lui.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L’ex-maire de Montréal, Gérald Tremblay, fait un casse-tête mille morceaux chez lui.

Il y a 20 ans, les référendums sur les défusions ont permis à 31 municipalités québécoises de retrouver leur autonomie, après un bref mariage qui n’aura duré que trois ans. À Montréal, à Longueuil et à Québec, les divorces ont plongé les villes dans des querelles parfois acrimonieuses. Deux décennies plus tard, la poussière est retombée, mais une sorte d’amertume demeure chez les défusionnistes et les défenseurs des grandes villes.

À Montréal, le rêve d’une île, une ville a été taillé en pièces le 20 juin 2004 lorsque les citoyens de 15 villes se sont prononcés en nombre suffisant pour permettre à leur ancienne municipalité de renaître de ses cendres. Gérald Tremblay, qui était maire depuis trois ans à ce moment, estime aujourd’hui que les défusions ont brisé l’élan que son administration tentait d’insuffler à la métropole. Pour Peter Trent, leader défusionniste, l’opération a permis de réparer, en partie du moins, les torts causés par les fusions forcées tant honnies.

En mars 2003, Jean Charest, qui dirigeait les troupes libérales, avait promis de donner aux citoyens des villes fusionnées l’occasion de se prononcer sur la défusion de leur municipalité s’il était porté au pouvoir. Une fois élu, il lui a bien fallu donner suite à sa promesse. Depuis des mois, les défusionnistes s’activaient en coulisses, avec Peter Trent à leur tête, pendant qu’au sein de la ville de Montréal, désormais composée de 27 arrondissements, Gérald Tremblay tentait tant bien que mal de maintenir un semblant d’harmonie au sein de l’appareil municipal et de soigner les plaies des banlieues englouties contre leur gré par la mégaville.

« Le gouvernement l’a fait, disait-il, pour respecter la démocratie. Mais c’est exactement le contraire qui s’est produit », affirme aujourd’hui Gérald Tremblay. En défusionnant, les villes reconstituées ont vu une grande part de leur budget contrôlé par Montréal, explique-t-il. « J’ai fait la tournée des municipalités [avant les référendums] et je leur ai dit que j’allais contrôler 70 % de leur budget. C’est ça qui est arrivé. J’avais un droit de véto avec les autres conseillers de la Ville au conseil d’agglomération. Alors bravo pour la démocratie. »

Gérald Tremblay est d’avis que les défusions ont embourbé la Ville de Montréal dans des débats dont elle aurait pu se passer, alors qu’il y avait tant à faire pour relancer la métropole. « Ç’a brisé le momentum, dit-il. Est-ce que cela a nui à Montréal ? La réponse est oui. Cela a retardé beaucoup de projets, donné lieu à beaucoup de discussions, des fois stériles, des fois constructives. »

Il rappelle que Jean Charest a lui-même reconnu, en 2019, lors d’un dîner-bénéfice de la Fondation du Barreau auquel participait aussi Lucien Bouchard, que sa promesse de défusions municipales était une « erreur terrible », des propos rapportés par La Presse.

Jean Charest a décliné notre demande d’entrevue, invoquant un manque de disponibilité.

Le club des ex

Ancien maire de Westmount, Peter Trent ne voit pas la situation du même oeil que Gérald Tremblay. Il est vrai que les municipalités ayant défusionné n’ont pas retrouvé leur entière autonomie — les défusionnistes ont d’ailleurs reproché aux libéraux d’avoir renié leur promesse d’« annuler » les fusions municipales, pour finalement leur offrir des « défusions partielles » —, mais il estime aujourd’hui que les ex-municipalités de banlieue qui sont restées dans le giron de la Ville de Montréal, comme Saint-Laurent, Anjou et Outremont, ont subi de bien plus grandes pertes.

Les administrations successives, de Gérald Tremblay à Denis Coderre, ont progressivement centralisé la gestion de la Ville de Montréal, atteinte par une enflure bureaucratique. « Il y a des choses qui ne changent pas. Les bureaucrates, par nature, sont centralisateurs. C’est dans leur esprit, souligne Peter Trent. Les arrondissements gèrent beaucoup moins qu’il y a 20 ans. »

Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Gérard Tremblay, alors maire de Montréal, et Peter Trent, leader défusionniste et maire de Westmount de 2009 à 2017, lors d’un débat télévisé sur les défusions, le 7 juin 2004

Il cite une étude réalisée en 2022 par Jean-Philippe Meloche, professeur à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, qui a révélé qu’en 2002, les arrondissements montréalais géraient près de 32 % du budget de la Ville de Montréal, contre 16,5 % en 2021. Pendant ce temps, les 15 villes liées ont fait des gains au fil des ans et contrôlent maintenant 100 % de leurs dépenses locales, soutient Peter Trent.

Alan DeSousa, maire de l’arrondissement de Saint-Laurent — une ancienne ville de banlieue —, rétorque que le sort des villes défusionnées n’est pas rose. « Les maires des villes qui ont quitté Montréal réclament depuis 20 ans des changements », fait-il remarquer. Il rappelle que depuis les défusions, les villes liées sont soumises au conseil d’agglomération, créé pour statuer sur les dépenses communes, comme la police et les pompiers, et contrôlé à 87 % par les élus montréalais qui votent en bloc. « Ils n’ont aucune influence sur les montants qu’ils doivent payer à l’agglomération », indique M. DeSousa.

Salaires en hausse

Il est normal que Montréal ait le gros bout du bâton au conseil d’agglomération compte tenu de son poids démographique, reconnaît Peter Trent, mais ce qu’il ne digère pas, ce sont les hausses de coûts que rien ne semble freiner.

Dans la foulée des fusions municipales, les conditions de travail de l’ensemble des employés municipaux de l’île ont été harmonisées, ce qui s’est traduit par un rajustement à la hausse de la rémunération de nombreux employés des anciennes banlieues. « À Westmount, il y a des employés qui ont reçu des augmentations de 10 000 à 15 000 $ par année. Maintenant, on est pris avec ces augmentations », déplore Peter Trent en soulignant qu’au Québec, les employés municipaux bénéficient déjà de salaires près de 40 % supérieurs à ceux de la fonction publique québécoise.

Les défusions visaient à remédier à l’absence de démocratie lors des fusions décrétées sans mandat électoral par les péquistes, soutient l’ancien ministre des Affaires municipales Jean-Marc Fournier. Vingt ans plus tard, il se garde bien de se prononcer sur l’impact des défusions. Il note quelques défis démocratiques dans les structures décisionnelles actuelles, mais selon lui, la poussière est retombée et les querelles suscitées par les fusions-défusions sont apaisées. « Le temps qui a passé semble avoir réglé l’aspect des passions. Le déséquilibre bureaucratique n’est pas suffisant pour avoir fait revivre un désir de chambouler à nouveau le modèle », dit-il.

Les anciens élus s’entendent d’ailleurs pour dire que malgré le nombre élevé de maires et de conseillers municipaux sur l’île, qui sont 103 à Montréal seulement, personne au gouvernement du Québec ne semble avoir envie de rejouer dans les structures municipales.

Selon Jean-Marc Fournier, les réels problèmes des villes se situent au chapitre du financement des infrastructures et des responsabilités qui leur sont confiées, comme le logement et l’itinérance, bien que celles-ci relèvent de Québec.

Une situation que Gérald Tremblay continue de dénoncer. Les multiples tentatives qu’il avait menées auprès de Québec pour récupérer un point de la TVQ n’ont pas donné les résultats escomptés et Montréal est toujours aux prises avec un déséquilibre fiscal structurel tout en devant composer avec des défis grandissants en lien avec les infrastructures, l’itinérance, le logement et les changements climatiques. « Il y a trois partenaires qui ne se parlent pas de la bonne façon », estime l’ancien maire au sujet des municipalités et des gouvernements fédéral et provincial. Selon lui, le statu quo est précurseur de « ruptures, de révoltes et de tragédies ».

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