Natashquan, une occasion manquée

Au cours des dernières années, les résidents du quartier de Pointe-Parent, situé plus près de Nutashkuan, que l’explosion démographique force à prendre de l’expansion, se sont fait déloger, avec la complicité des gouvernements.
Photo: Renaud Philippe Archives Le Devoir Au cours des dernières années, les résidents du quartier de Pointe-Parent, situé plus près de Nutashkuan, que l’explosion démographique force à prendre de l’expansion, se sont fait déloger, avec la complicité des gouvernements.

Lors des élections municipales de 2020, ma douce et moi, sur le point d’acquérir une nouvelle propriété à Natashquan, écoutions les résultats depuis notre appartement de Montréal. C’est avec fierté que nous avons vu notre futur sanctuaire de jeunes retraités faire la manchette nationale grâce à l’élection d’un maire, Henri Wapistan, issu de la communauté innue voisine.

Sans connaître à l’époque tous les tenants et aboutissants de ce scrutin historique, nous avions vu dans ce résultat un signal de rapprochement entre deux communautés que l’histoire autant que des événements plus récents semblaient mettre dos à dos.

Presque trois ans plus tard, nous voici installés à demeure dans notre village du bout de la route. L’enchantement est toujours bien présent, même si la naïveté initiale, elle, a cédé le pas à une réalité que les idéalistes de la métropole dont nous étions ignorent entièrement. Je commence à peine à saisir les problèmes auxquels font face les deux communautés. Je n’oserais pas m’aventurer à n’en tracer ne serait-ce qu’un résumé. Les rapports, j’oserais même dire les liens entre les Autochtones et les allochtones au pays de Jack Monoloy comptent presque deux siècles d’histoire.

Je peux seulement témoigner de ma courte expérience personnelle. D’abord, il n’y a pas à Natashquan/Nutashkuan les Blancs et les Innus. Il y a des individus aux origines et aux personnalités diverses qui entretiennent des rapports très variés. Je côtoie chaque jour des résidents de la réserve de Nutashkuan, ne serait-ce qu’à l’épicerie du village, au bureau de poste ou au hasard d’une conversation au café-bistro L’Échouerie.

Dans certains cas, nous nous connaissons par nos prénoms et nous saluons chaleureusement en demandant de nos nouvelles. Dans d’autres, le malaise est palpable. On se regarde à peine. Il y a assurément un aspect générationnel à cela. Les plus vieux, qu’ils soient acadiens ou innus, ont une histoire commune beaucoup plus « tissée serrée » par l’isolement d’autrefois, la rigueur du climat et la solidarité des gens qui vivent avec peu. Si le français est bien maîtrisé par tous les Innus, il fut une époque pas si lointaine où nombre d’habitants de Natashquan connaissaient la langue innue. Encore aujourd’hui, les unions mixtes se démarquent par leur banalité.

Chez les plus jeunes, c’est autre chose. Cette histoire locale est largement ignorée au profit d’un discours national racialiste qui semble avoir causé une certaine cassure dans le tissu social de nos deux peuples. Il se développe, chez les plus jeunes Innus, cette idée que nous, les Blancs, vivons sur leurs terres, dont on les a dépossédés.

Même si les faits sont incontestables, les gens d’ici et d’aujourd’hui n’y sont pour rien. Ils sont, pour la plupart, des descendants d’Acadiens qui furent autrefois déportés. Ils ont l’impression de vivre sous la menace d’une seconde déportation, ne serait-ce que métaphorique.

Au cours des dernières années, les résidents du quartier de Pointe-Parent, situé plus près de Nutashkuan, que l’explosion démographique force à prendre de l’expansion, se sont fait déloger, avec la complicité des gouvernements. La manière dont tout cela s’est fait — invasion de domiciles et vandalisme — a laissé des marques chez des familles, qui ont heureusement réussi à se reloger à Natashquan dans plusieurs cas. Lorsqu’aujourd’hui ces familles retournent visiter leur ancien hameau, elles n’y retrouvent plus que destruction et désolation autour des maisons de leur enfance. Tout ça pour ça, aurait-on envie de dire.

C’est dans ce contexte qu’arrivent les élections de 2020 à Natashquan. Je n’ai jamais eu depuis l’occasion de rencontrer le maire Wapistan, et cela, bien que j’habite non loin de l’hôtel de ville. Cela a sans doute à voir avec le fait qu’il en soit presque totalement absent. Si j’en crois les procès-verbaux des séances du conseil, il n’y assiste presque jamais.

Dernièrement, plusieurs villageois se sont engagés dans un projet municipal emballant pour créer un jardin communautaire qui fait l’envie de toute la Minganie. Or, ce sont les fonctionnaires municipaux et quelques bénévoles qui ont entrepris, conçu et réalisé ce projet. J’ignore si le maire connaît l’existence même de ce jardin qui a été inauguré sans sa présence.

Nous aurions pourtant bien eu besoin, ces dernières années, qu’un dialogue s’établisse entre les deux communautés, pour empêcher que les choses dégénèrent davantage. Le climat est toujours généralement paisible, mais il y a de quoi être inquiet. Chacun, me semble-t-il, avec ses défis particuliers, aurait quelque chose à gagner à mettre en commun ses ressources et ses idéaux.

L’élection du maire Wapistan n’aura été qu’une immense occasion manquée. Dans une entrevue accordée au journal Le Portageur et relayée dans les pages du Devoir, il a beau annoncer de belles intentions de rapprochement, la réalité est qu’il a préféré, depuis près de trois ans, demeurer aux abonnés absents.

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