Ismaïl Kadaré, l’écrivain des Balkans
J’apprends qu’Ismaïl Kadaré est décédé. Un de mes écrivains préférés. Que j’ai découvert dans les années 70 avec Le général de l’armée morte, au moment où l’Albanie était une espèce de pays communiste pur et dur. Après avoir lu ce livre, je ne pouvais plus m’arrêter de traverser ses autres romans plus passionnants les uns que les autres, tant j’étais conquis par le style qu’il adoptait et les thèmes qu’il abordait.
Le grand hiver, Le concert, Qui a ramené Doruntine ?, Le crépuscule des dieux de la steppe, Chronique de la ville de pierre, Avril brisé, Le dossier H et puis ses essais Le printemps albanais, Eschyle ou l’éternel perdant, Invitation à l’atelier de l’écrivain. Je n’arrivais pas à comprendre qu’en cette dictature stalinienne où triomphait le réalisme socialiste, des oeuvres pouvaient être aussi libres, comiques, lyriques et modernes comme celles de Kadaré.
Je ne suis pas un spécialiste, comme Éric Faye ou Alain Bosquet, de l’auteur albanais mais j’aime la facture populaire et moderne de ses romans. Éric Faye raconte dans un entretien avec Stéphane Lépine dans sa passionnante émission Paysage Littéraire, que ce qu’il admire chez Kadaré c’est la qualité constante de son oeuvre : à chaque nouveau roman c’est toujours bon. Il a raison. Les récits de Kadaré, imprégnés de tradition orale, de rumeurs, de rituels et d’une immense culture littéraire, sont toujours jubilatoires.
Au pire moment du régime d’Enver Hoxha, Kadaré a fui son pays pour la France. À présent que l’Albanie est une démocratie, Kadaré faisait régulièrement la navette entre les deux pays. Il parlait très bien français. Il faut réentendre sur YouTube, la rencontre de Kadaré avec Bernard Pivot qui souhaite explicitement que l’auteur d’Avril brisé reçoive le prix Nobel. Il ne l’aura pas.
On raconte que ce serait le lien ambigu qu’il aurait entretenu avec le régime de l’époque qui aurait nui à la candidature de Kadaré à l’ultime consécration qu’il méritait, tant son oeuvre est exceptionnelle et remarquable. Jeune, Kadaré a étudié à l’Institut Gorki de Moscou, avant la rupture entre l’Union Soviétique et l’Albanie. Ses fictions, rompues à la magie des légendes du « pays des Aigles », par leur souffle unique, homérique, imprégné de cette culture attachante des Balkans, me font penser à ces grands romans russes du XIXe siècle avec quelque chose de la fable contemporaine d’un Gabriel García Márquez ou d’un Milan Kundera.
Il me reste encore quelques histoires fabuleuses à découvrir de ce grand magicien des mots. Dès demain je m’y replonge.
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