Géopolitique des fragilités démocrates et républicaines aux primaires présidentielles
Au terme des élections primaires présidentielles pour les États, les victoires de Joe Biden et de Donald Trump auront été presque totales. Il reste que des coups de semonce ont été entendus dans les primaires démocrates et républicaines. Comme leurs effets sur l’élection présidentielle de novembre sont difficiles à prédire, il est bon de savoir où et comment le vote dissident s’est le plus fortement exprimé.
Ces bleus qui votent blanc
Du côté démocrate, hormis le mécontentement par rapport au choix même des candidats, la principale question aura été la détermination de la mesure dans laquelle le mouvement de contestation de la politique du président Biden au sujet de la guerre entre Israël et le Hamas allait rencontrer de l’écho.
Ce mouvement pouvait se rendre plus visible dans les États où le bulletin de vote ajoute la mention « non engagé » ou « sans préférence » à la liste des candidats d’un parti. C’était justement le cas du Michigan, où, avant même l’élection du 27 février, la campagne appelant à « abandonner Biden » commençait. Bien que des commentateurs aient confondu « arabes et musulmans », le sujet de la guerre y devenait délicat étant donné que Detroit rassemble la plus importante concentration d’Américains d’origine arabe. Atteignant les 13 %, le vote « non engagé » des partisans démocrates prenait alors un certain poids politique.
Par la suite, plusieurs médias régionaux ont constaté que le mouvement s’étendait à leur État. Le 5 mars, jour du Super Tuesday, le vote blanc était de 13 % en Caroline du Nord et s’élevait à 19 % au Minnesota. Il a culminé le lendemain dans le caucus présidentiel d’Hawaï avec 29 %. Dans les élections suivantes, une personne sur 10 faisait de même dans d’autres États (Washington, Kansas, Missouri, Connecticut, Rhode Island, Maryland, Nouveau-Mexique).
Le poids numérique du vote « sans préférence » ne peut être le seul fait de l’électorat arabophone ou musulman. D’autres milieux sociaux ont emboîté le pas. Dans certains États, la spatialisation du vote donne à penser que d’autres motivations ont pesé dans la balance, à commencer par le choix offert. Au Kentucky, l’option s’est élevée à 18 %, pour même prendre la tête dans quelques comtés ruraux.
Dans les États où l’option n’existe pas, quelques électeurs se sont tournés vers l’autrice Marianne Williamson, opposée à la politique du président. Elle a récolté près de 12 % des voix dans le Dakota du Sud.
Pour aller plus loin
La levée d’un drapeau rouge
En fin de course, le mouvement favorable à Nikki Haley ressemblait davantage à une cause qu’à une campagne. Avant la suspension de sa campagne, le 6 mars, la candidate avait obtenu le soutien d’au moins 20 % des partisans républicains dans 13 États sur 24. Après, ce rapport ne s’est transposé que dans 2 États sur 26. C’est dire que des partisans ont continué de choisir une candidate qui s’est retirée.
Dans les États du Nord-Est, la candidate a gagné le Vermont ainsi que le District de Columbia (la capitale, Washington), avec l’appui respectif de la moitié et de 63 % des votants. Le mouvement a emporté 43 % des électeurs du New Hampshire et 37 % de ceux du Massachusetts. Haley a gagné une myriade de localités autour de Boston.
Les États du sud de la côte atlantique font la transition politique entre le Nord-Est et le Sud du pays. Ainsi, 35 % des Virginiens ont été favorables à Haley. Certaines villes ont été remportées avec des majorités allant des deux tiers aux trois quarts des votants, dont Richmond et les villes voisines du District de Columbia. En Caroline du Nord, le vote a grimpé à 45 % à Charlotte. L’ancienne gouverneure de la Caroline du Sud a obtenu le soutien de 4 personnes sur 10 dans cet État, en remportant Charleston (62 %) et la capitale, Columbia (58 %).
Le bât blesse dans les États rouge foncé du Sud, des Plaines et des Rocheuses, où le mouvement a rarement réussi à atteindre 20 % de l’électorat. En revanche, Haley a obtenu 43 % des voix en Utah et le tiers au Colorado, ancien État pivot devenu démocrate. Salt Lake City et Denver ont majoritairement appuyé la candidate.
Dans les Grands Lacs, Haley a attiré plus du quart des électeurs du Michigan et du Minnesota, le score grimpant à 45 % à Minneapolis.
Violettes américaines
Depuis des décennies, les grandes régions du pays sont solidement bleues ou rouges, césure qui oppose souvent les centres urbains et le monde rural. Dans ce contexte de division, les banlieues, souvent violettes, constituent un enjeu électoral crucial. Les gens plus scolarisés y sont nombreux et le vote des femmes, même quand il est conservateur, ne peut être tenu pour acquis.
Il est invraisemblable que les partisans démocrates qui se sont opposés au président passent dans le camp de l’ex-président. Les stratèges démocrates redoutent plutôt qu’une partie de ces derniers manquent à l’appel en novembre en restant à la maison. Comme ces voix se sont plus fortement manifestées dans les villes, la situation devient épineuse dans les États pivots gagnés de justesse en 2020 (Michigan, Wisconsin, Caroline du Nord, etc.).
Dans les rangs républicains, on convient qu’il importe de faire des gains au-delà du noyau dur des partisans de Trump en ralliant des électeurs indépendants. Haley aura été plus qu’une comète si les stratèges prennent note que c’est justement dans les villes d’États moins divisés — et souvent bleus — que celle-ci a rencontré le plus d’écho.
Ainsi, l’analyse du vote dissident nous permet de cerner plusieurs « lieux-talons d’Achille » au sein de la géopolitique des fragilités démocrates et républicaines.
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