Ces voix d’infirmières que le gouvernement n’écoute jamais
En février 2018, trois ans après l’implantation et l’échec de la réforme Barrette, plus de 50 infirmières et infirmières auxiliaires remettaient au CISSS de leur région « Le livre noir des urgences de l’Outaouais ». Ce recueil de témoignages dénonce la détérioration des conditions de travail et d’exercice de la profession infirmière (augmentation des heures supplémentaires obligatoires, exode des professionnelles en soins, etc.) ainsi que la menace pour la qualité et la sécurité des soins aux patients dans la région de l’Outaouais (augmentation des incidents et accidents, explosion des ratios infirmière-patient, etc.).
S’ensuivra un mouvement de dénonciations en Outaouais orchestré par les infirmières et les infirmières auxiliaires qui poussera le gouvernement libéral à mettre en place un projet ratio à l’urgence de Hull. Toutefois, si les projets ratios de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec ont démontré leur efficacité (diminution des heures supplémentaires obligatoires, baisse des congés de maladie, amélioration du climat de travail, etc.), ceux-ci n’ont jamais été mis en place par le gouvernement caquiste. De surcroît, dans les mois et les années qui suivront, les infirmières et les infirmières auxiliaires organiseront de façon spontanée plusieurs sit-in pour dénoncer le manque de personnel et l’utilisation abusive des heures supplémentaires obligatoires aux urgences, mais également dans plusieurs départements de médecine et de chirurgie.
Mais encore, lors de la pandémie, les arrêtés ministériels adoptés par le gouvernement caquiste permettront de suspendre les conventions collectives et d’imposer des horaires à temps complet pour tous les quarts de travail (jour, soir et nuit) et dans toutes les unités aux infirmières et aux infirmières auxiliaires, et ce, sans égard à leur expertise et à leurs compétences. Par voie de conséquence, ils contribueront à l’exode des professionnelles en soins vers la région de l’Ontario et les agences de placement. Finalement, souvenez-vous que ces nombreuses démissions ont mené à la fermeture partielle de l’urgence de Gatineau le 28 juin 2021, et ce, pendant plus de six mois.
Selon le dernier rapport sur les effectifs infirmiers (2022-2023) réalisé par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, l’Outaouais est la région qui compte le moins d’infirmières en soins directs par 1000 habitants, soit 4,96, alors que la moyenne provinciale est de 7,74. Cette situation est hautement inquiétante, mais pas nouvelle puisqu’elle est dénoncée de longue date par les infirmières et les infirmières auxiliaires, comme démontré ci-haut.
Entêtement
Or, il semble y avoir un entêtement de la part des gouvernements, qui se succèdent à ne pas accorder de crédibilité aux dénonciations infirmières et qui ont une obstination bornée à refuser de mettre en place les solutions qu’elles proposent. Au contraire, la Coalition avenir Québec exige de la « mobilité » et de la « flexibilité » de la part des infirmières, comme lors de la pandémie, ce qui pourrait entraîner une aggravation de la pénurie et une détérioration de la qualité et de la sécurité des soins aux patients.
Encore cette année, un collectif d’experts et d’expertes en sciences infirmières a proposé une « Boîte à outils pour la rétention des effectifs infirmiers ». Ce document gratuit, scientifique et en ligne est à la disposition des gouvernements et permettrait de mettre en place des mesures de rétention et d’amélioration de la vie professionnelle des infirmières. Il est temps d’être conséquent ; si les infirmières sont dépeintes comme « tenant à bout de bras le système de santé publique », il faut réellement reconnaître leur expertise dans la gestion et la mise en place de solutions pérennes et efficaces pour améliorer leurs conditions de travail et, conséquemment, le réseau de la santé.
Le nouvel hôpital en Outaouais ne permettra pas de résoudre une problématique qui est plus profonde, soit celle de la dévaluation chronique du travail du soin (care) et du manque de reconnaissance accordée à celles, puisqu’elles sont majoritairement des femmes, qui le prodiguent.
*Ont aussi signé cette lettre : Sophie Mederi, étudiante en soins infirmiers et formatrice sur l’approche sensibilisée aux traumas ; Carolie Daniel, infirmière clinicienne ; Khawla Hassan, candidate à l’exercice de la profession infirmière ; Alexandre Magdzinski, infirmier clinicien ; Natalie Stake-Doucet, infirmière ; Denis Marcheterre, président d’Action santé Outaouais ; Catherine Habel, infirmière praticienne en soins de première ligne.
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