Hortense et Violette
Dès le trottoir, on hume les lys et les pois de senteur avant de pénétrer dans ce royaume de zénitude, une promesse légère à emporter dans un écrin de papier fort. La boutique de fleurs Hortense et Violette a vu le jour il y a à peine deux semaines sur la rue Fleury que déjà se pressent les habitants du quartier, attirés par un peu de paix, et de joliesse en gerbe. La paix, si on pouvait l’acheter au kilo, on en prendrait trois paniers livrés par des colombes. Sans soupirs de bébés.
Par contre, chez Hortense et Violette, on laisse les soupirs de grands à la porte et on épouse une certaine idée de la délicatesse. Ici, des girofles et des anémones, des frésias et des pivoines, des digitales et des branches d’eucalyptus à l’arôme camphré ou des phacélias mauvées se conjuguent en rondeur pour offrir des bouquets d’espoir, même fragile, même s’il se fane un jour. C’est Neruda, ce grand poète, qui écrivait : « Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas le printemps. » L’espoir peut refleurir.
Au plus fort de leurs angoisses existentielles de quinquagénaires défroquées du milieu de la santé, Isabelle Ahmad, microbiologiste et directrice de l’ingénierie d’une usine de vaccins, et Delphine Roigt, éthicienne clinique, ont rêvé d’un terreau fertile où se rempoter. « Je me suis demandé quel était l’endroit où je me sentais le mieux, raconte Delphine. C’était chez le fleuriste ! »
L’avocate qui a bifurqué vers le rare métier d’éthicienne dans les hôpitaux durant plus de 25 ans ne se voyait pas en habit de scaphandrier avec un masque pour défendre les droits des patients durant la pandémie. « Il me fallait réexpliquer ma job à chaque nouveau patron. Même eux n’en comprennent pas l’importance. C’est toujours à recommencer. » L’éthique ? Elle se résume parfois à une phrase : ce n’est pas parce que c’est légal que c’est moral. Delphine (qui vient de collaborer étroitement au récent livre Soins de fin de vie : qui décide ? de la philosophe Jocelyne Saint-Arnaud) précise : « C’est un soutien à la prise de décision dans des situations de soins complexes où il y a des enjeux de valeurs. » Il y a souvent des enjeux… surtout avec des plantes malades.
Jouer dans les hydrangées
« On a tous pensé un moment donné : je lâcherais tout pour jouer dans les fleurs. Eh bien nous, on l’a fait ! » rigole Delphine, qui a remis sa démission le 23 octobre 2020 après une rencontre avec sa nouvelle patronne (qui passait une entrevue sans le savoir) et commencé son DEP en fleuristerie dix jours plus tard. « La question qu’on m’a posée le plus, c’est : “As-tu pensé à ta retraite et à ton fonds de pension ?” Si j’avais voulu faire de l’argent, je serais devenue électricienne. En éthique, on a besoin de liberté, de confiance pour créer. » Et avec les fleurs, elle a trouvé en plus une poésie silencieuse et le pouvoir d’apaiser.
Le bonheur est l’art de faire un bouquet avec les fleurs qui sont à notre portée
Isabelle cherchait aussi un sens à son travail et en trouvait davantage dans l’hortithérapie, en compagnie des plantes : « Les grandes organisations qui n’ont pas de coeur, je ne suis plus capable. Le plus bel actif qu’on a, ce sont les êtres humains. S’ils n’en prennent pas soin, ils ne vont nulle part. » Delphine opine : « Je ne pouvais plus aider des gens au sein d’une organisation qui maltraite le monde. Après ça, on leur dit de faire du yoga, du journaling et de la méditation. Parce que tu es trop faible ? Je ne veux plus participer à cela. »
Cette femme loyale dont j’ai pu apprécier les qualités et la rigueur professionnelles pour l’un de mes livres est une passionnée de la justice dans son sens le plus noble.
Alors que les crocus ne poussaient pas encore sous la neige, Isabelle a déniché le local dans Ahuntsic en janvier, contacté Delphine pour enfiler son tablier de fleuriste de quartier avec une mission éthique.
Cinquante ans, âge où vivent bien des rêves, âge qui est encore, sinon la fleur de l’âge, l’âge des fleurs
Par ici les iris et les hydrangées, la barbe-de-bouc et les violettes. Les deux fleuristes vendent des produits québécois (voire canadiens), des fleurs locales, sans tubes ou emballages de plastique. Il n’y a pas de roses bleues ou d’oiseaux du paradis exotiques ici, pas de fleurs qui ont voyagé de l’Équateur ou du Mexique, pas de fougères rigides.
« Il y a beaucoup d’éducation à faire, note Delphine. On ne sait pas encore ce qu’on fera pour les roses rouges de la Saint-Valentin… » Isabelle lève les yeux au ciel : « Je m’engage à rêver avec toi ! »
Campanules et renoncules
Delphine aime les anémones et les chardons bleus, Isabelle, les campanules et les renoncules. Elles insistent sur la traçabilité de leurs petites protégées aux pétales fragiles, espèrent que des producteurs prendront le relais l’hiver comme cette productrice de tulipes à Grand-Métis. Les fleurs font partie de tous les événements importants de la vie, de la naissance à la mort en passant par l’amour, les émotions fortes et le pardon.
Le réel quelquefois désaltère l’espérance. C’est pourquoi, contre toute attente, l’espérance survit.
« Notre philosophie, c’est de nous inscrire au quotidien. Le petit bouquet de semaine requinquant à 20 $ ou 30 $. Et les gens sont contents de le ramasser après être allés à la boulangerie d’à-côté. » Et Delphine insiste pour parler d’arrangements floraux, un art qui va au-delà de la simple gerbe. Et du mouvement slow flowers (comme le slow food), des fleurs qui voyagent peu, écoresponsables, avec moins de gaspillage, une tendance lourde.
Lourd comme peut parfois l’être le public. « Depuis la pandémie, c’est pire, les gens sont très à pic », note Delphine, qui a fait des stages en boutique après son cours. « Les fleurs, ça calme ! » Du moins, on se le souhaite, et avant nos funérailles.
Les deux fleuristes en herbe découvrent les joies du commerce. Presque sous nos yeux, deux clients venus acheter des plantes ont volé l’arrosoir de métal des nouvelles commerçantes. « Y a du monde qui vient couper les fleurs dans nos bacs dehors », me glisse une Isabelle ahurie.
La vie n’est pas un jardin de roses, tant s’en faut. Mais certains cultivent des épines, d’autres la beauté. Et la fée des fleurs fait dire que c’est ce que tu choisis d’arroser qui finira par grandir en toi.
cherejoblo@ledevoir.com
Instagram : josee.blanchette
Adoré le livre Jardins de senteurs d’Alexandra Bachand, la parfumeure de La Grange du Parfumeur à Magog. Son livre est une expérience sensorielle et un projet aromatique où Alexandra nous propose différentes fleurs pour organiser un jardin de senteurs. On retrouve à travers les chapitres le muguet, le lilas, l’arbre aux papillons, le jasmin ou l’acacia, des recettes et la signification de chaque fleur. Un livre en photos, estival et fleuri, très réussi et inspirant. On peut visiter son jardin de senteurs, chemin des Pères à Magog.
Dévoré la saison 3 de La chronique des Bridgerton. Plaisir coupable et série très suivie par mes amies. Le budget fleuriste est phénoménal et royal, très jardins anglais. Et comme pour les fleurs, ce sont les femmes qui adoptent le mouvement Bridgerton et mènent le bal. Mots clés ? Romance, potinage, agonies de l’amour, bourgeoisie, royauté, mixité raciale, marivaudage, honneurs, révérences et baisemains, sexe, féminisme bourgeonnant, corsages pigeonnants et langage fleuri. Netflix. (Saison 4 prévue en 2026.) bit.ly/3zh7CIX
Critique hilarante de l’humoriste Amandine Lourdel ici : bit.ly/4eG6puF
JOBLOG — Gazons maudits
Je me souviens de l’exposition sur La pelouse en Amérique au Centre canadien d’architecture, en 1998 (bit.ly/3zkpDpA).
L’été suivant, j’avais écrit un texte dans cette page sur les gazons maudits, un à Westmount, où j’ai été « mairesse » un été (longue histoire), et l’autre à Saint-Laurent, où un toqué de la diversité laissait son parterre copuler et essaimer comme bon lui semblait. Mises en demeure, grincements de dents, plaintes des voisins, camions de terre de la municipalité, batailles juridiques, tout ça pour empêcher les abeilles de faire du miel.
On se dirait, 25 ans plus tard, c’est certain que ça a changé, qu’on vend moins de pesticides, qu’on plante multiculturel et qu’on se veut rassembleurs. Eh ben oui, ça a changé, il n’y a presque plus d’abeilles ! Sinon, plus ça pousse, plus c’est pareil. Explications ici, une brève de Radio-Canada environnement (il faut lire les arguments de la municipalité !). bit.ly/4bknB6f
Et après ça, on se demande pourquoi on préfère les fleurs aux humains…
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.