De grandes algues pour stocker et séquestrer le carbone
On pense surtout aux arbres pour capter, stocker et séquestrer le carbone émis par les activités humaines. On oublie souvent que les plantes aquatiques comme les algues le font aussi très efficacement. Depuis quelques années, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) considère même la culture des algues comme une possible stratégie pour atténuer les changements climatiques.
Lors du colloque intitulé Carbone bleu et changements climatiques présenté mardi au congrès de l’Acfas, qui se déroule à l’Université d’Ottawa, la professeure en océanographie biologique de l’Université du Québec à Rimouski, Fanny Noisette, a présenté le grand potentiel des macroalgues pour stocker et séquestrer du carbone dans nos contrées.
« Dans les zones côtières des régions tempérées à polaires, les macroalgues brunes — les laminaires — forment des communautés hautement productives. Ces macroalgues génèrent des détritus dont une partie s’échoue sur les plages, et une autre disparaît dans les profondeurs de l’océan qui sont souvent couvertes de sédiments dépourvus d’oxygène qui séquestrent le carbone », a-t-elle exposé.
Les macroalgues présentent plusieurs qualités qui les rendent intéressantes pour capter, stocker et séquestrer du carbone, a-t-elle souligné. D’abord, il existe des habitats appropriés pour les algues brunes dans quasiment toutes les zones côtières du globe, ce qui représente un énorme « potentiel de stockage de carbone ».
Selon des mesures publiées en 2022, les algues assimilent — c’est-à-dire captent par photosynthèse, et donc stockent — en moyenne entre 0,2 et 1 kilogramme de carbone par mètre carré par an, selon qu’il s’agit d’algues vertes, d’algues du médiolittoral (où se produisent les marées), d’algues brunes (soit les grandes laminaires qui sont constamment sous l’eau), d’algues des récifs coralliens ou d’algues rouges des milieux profonds.
« Dans les régions froides, comme chez nous par exemple, on recense le stockage d’environ un kilogramme de carbone par mètre carré, tandis que dans les régions un peu plus chaudes, ce n’est qu’un tiers de cette valeur qui est produit. Nous avons donc des écosystèmes qui stockent beaucoup de carbone », a fait remarquer la chercheuse à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski.
« Toutefois, sur ce kilogramme d’algues par mètre carré, il y en a plus de 50 % qui retournent dans le milieu sous forme de détritus et de carbone dissous. On a donc des écosystèmes qui sont capables de stocker beaucoup, mais qui en renvoient beaucoup dans le milieu, ce qui est un problème pour la séquestration », a-t-elle ajouté.
Pour savoir où le carbone stocké par ces algues était séquestré, les scientifiques ont prélevé des échantillons d’eau à différentes profondeurs et ont analysé l’ADN que l’eau contenait. Ils ont ainsi pu détecter des traces de plusieurs familles d’algues jusqu’à 4000 mètres, une profondeur particulièrement favorable à la séquestration.
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Le carbone bleu
« C’est à partir du milieu des années 2000 qu’on a commencé à mettre au point et à expérimenter les premières technologies utilisant les macroalgues pour stocker du carbone. Et c’est en 2008 que le concept de “carbone bleu” fut introduit », a rappelé Mme Noisette.
Ce secteur de la mariculture émet très peu de carbone comparativement à la pisciculture et à la culture des bivalves (moules, huîtres, etc.), a souligné la chercheuse. L’avantage principal de l’algoculture est le stockage très rapide de carbone dans les tissus. Les algues qui sont récoltées peuvent ensuite être utilisées pour l’alimentation humaine ou celle du bétail, ainsi que dans des produits pharmaceutiques ou des nutraceutiques.
Un deuxième avantage est que la séquestration de carbone peut avoir lieu sous ces fermes d’algues ainsi qu’à proximité de celles-ci, car le carbone que les algues perdent en se cassant tombe au fond de l’eau et va s’enfouir dans les sédiments. On peut faire pousser des macroalgues sur des filières que l’on tractera en bateau et qu’on fera couler au fond de la mer. Il y a aussi des filières circulaires dotées de grands couteaux qui coupent régulièrement les algues pour que des débris tombent au fond de l’eau. Il y a aussi des plateformes biodégradables sur lesquelles on ferait pousser des algues et qu’on ferait flotter au milieu des océans. Au bout d’un moment, ces plateformes couleraient d’elles-mêmes au fond de l’eau, donne-t-elle en exemple.
Un troisième avantage est la capacité des entreprises aquacoles à atteindre la carboneutralité. « Étant donné que les algues stockent beaucoup de carbone, il y a donc des avantages pour les mariculteurs à faire pousser des algues avec d’autres produits de la mer », affirme la professeure.
« La quantité de carbone qui est captée et assimilée par les algues est très souvent supérieure à celle des productions agricoles terrestres. Et elle est même parfois très supérieure à la culture de la canne à sucre, qui est l’une des cultures qui capte le plus de carbone en termes de croissance et de rapidité. L’aquaculture des algues recèle donc un vrai potentiel de stockage », souligne Mme Noisette.
« On ne pourra toutefois pas se baser uniquement sur le carbone bleu pour régler la crise des changements climatiques. Ce n’est pas en cultivant plus d’algues qu’on va sauver la planète. La solution principale demeure la réduction de nos émissions. La protection et le maintien de ces milieux sont également hyperimportants, parce que si on les perd, c’est tout le carbone qui est stocké à l’intérieur qui sera réémis », prévient-elle.