Gino Chouinard, l’élève modèle de la télé
Rien ne dépasse chez Gino Chouinard. Jamais un mot de travers ; toujours bien mis, toujours ce sourire immaculé accroché aux lèvres qui prête à la bonne humeur, même à 6 h 30 du matin. Les mauvaises langues avanceront qu’il y a peut-être quelque chose d’un peu travaillé dans cette apparence de perfection presque complexante. Après tout, cette carrière, cet enfant de la télé en a toujours rêvé et a tout fait pour y arriver. Mais l’animateur chouchou des Québécois, qui s’apprête à quitter la barre de Salut Bonjour après 17 ans, jure qu’il ne tente pas de jouer les gendres idéals pour les caméras.
« Si j’ai animé une émission grand public comme Salut Bonjour, c’est parce que j’avais déjà un casting qui correspondait à l’image du show. Je sais que je ne suis pas polarisant. Sans doute qu’il y a des gens qui aimeraient que je sois plus dans l’affrontement, mais ce n’est pas moi. Je n’aime pas le conflit. Dans la vie de tous les jours, je tente le plus possible de catalyser les frustrations, de réunir les gens. D’ailleurs, je n’ai jamais eu de chicane avec quelqu’un de l’équipe », confie celui qui animera sa dernière émission vendredi.
Salut Bonjour, qui existe depuis la fin des années 1980, survivra à son départ. Ève-Marie Lortie en deviendra l’animatrice cet automne. Mais il n’en demeure pas moins qu’une tendance se dégage depuis quelques années : les diffuseurs se désintéressent du créneau matinal. Il fut une époque où TVA diffusait également un talk-show, puis une émission de cuisine en avant-midi. Tout cela est aujourd’hui révolu. Salut Bonjour occupe dorénavant seule la grille horaire jusqu’à 10 h 30.
Dans les autres grands réseaux, le désinvestissement est encore plus marqué. La programmation en matinée se limite essentiellement à des émissions pour enfants ou à des films de série B mal traduits. « Oui, on sent une certaine décroissance. Mais je ne vois pas comment une émission comme Salut Bonjour pourrait ne plus exister dans dix ans. L’impact est toujours énorme. On est encore très regardés. La preuve, c’est que, depuis que j’ai annoncé mon départ, il y a beaucoup d’artistes qui m’ont dit qu’un passage à Salut Bonjour avait eu un effet immédiat sur leurs ventes d’albums ou de billets de spectacle », fait valoir Gino Chouinard.
S’imposer un moment d’arrêt
L’animateur affirme ne pas avoir de plan pour l’automne. Sa décision de quitter Salut Bonjour s’apparente à un saut dans le vide. En faisait le choix de ne pas renouveler son contrat il y a deux ans, il sentait le besoin d’avoir un temps pour lui, sans projet précis, juste pour réfléchir à la suite des choses.
La télévision, autant derrière que devant la caméra, l’intéresse encore. La radio, où il a fait ses premières armes, aussi. Mais travailler le matin, ce père de deux enfants a donné. « C’est énormément de sacrifices. Ma fille commence le cégep l’an prochain. J’ai assisté seulement à deux rentrées scolaires, et c’est parce que j’avais réussi à prendre congé. Travailler le matin, ça nous fait manquer beaucoup de bons moments », souligne-t-il avec émotion.
Qui plus est, le feu roulant de l’actualité lui pèse plus qu’avant. Or, l’animation d’une quotidienne commande de rester à l’affût toute la journée de l’information, pour adapter au fur et à mesure le contenu de l’émission du lendemain. En quittant Salut Bonjour, il éprouve le besoin de prendre une distance. Lui aussi est happé par ce que certains appellent la « fatigue informationnelle ». Le phénomène est documenté depuis la fin de la pandémie ; de plus en plus de personnes qui suivaient assidûment les nouvelles les évitent désormais, excédées par leur gravité.
« J’ai vraiment l’impression que les nouvelles sont plus lourdes qu’avant. Pourtant, quand j’ai commencé à animer Salut Bonjour il y a 17 ans, il y en avait aussi des guerres, des meurtres, des mauvaises nouvelles… Sauf qu’on y était confrontés seulement quand on lisait le journal ou qu’on écoutait un bulletin de nouvelles. Aujourd’hui, avec nos cellulaires, on y est confrontés en permanence. C’est épuisant et c’est pour ça entre autres, je pense, que les gens sont aussi à cran, qu’ils sont aussi polarisés. Car on est toujours amenés à réagir dans l’instant à ce qui se passe », constate l’animateur, qui a présenté l’édition week-end de Salut Bonjour de 2003 à 2007, avant de succéder à Benoît Gagnon en semaine.
Les gens auront beau dire qu’on fait notre propre chance, en réalité, la chance y est quand même pour beaucoup. Par contre, ce n’est pas elle qui te garde en place.
Le rêve américain
En plus de 20 ans en tout à Salut Bonjour, Gino Chouinard aura passé plus de temps en ondes que n’importe qui. Sans doute était-il l’une des personnalités les mieux payées de l’industrie de la télévision au Québec. Mais avant d’en arriver là, celui que le public appelle maintenant tout simplement Gino, comme on dit également Véro ou Ricardo, a aussi mangé son pain noir comme pigiste. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, il a été chroniqueur dans toutes sortes d’émissions, à la station de Québec de TQS ou encore à Sucré Salé. Il se souvient de certaines semaines avec un seul contrat de 100 $ à l’agenda.
« L’argent n’a pas changé la personne que j’étais. C’est sûr qu’à la SAQ, j’achète la bouteille à 25 $ ou 30 $ et ça ne me fait pas mal. Mais ça, c’est du matériel. Le matériel, oui, ça peut être réconfortant. Mais ça ne change pas l’essentiel. Ça ne change pas l’empathie que j’ai pour les autres. Ça ne me fait pas oublier que je viens d’un milieu rural et modeste », tient à préciser Gino Chouinard, qui a grandi à Woburn, près de Lac-Mégantic.
Son père était postier, sa mère couturière. Autant dire que rien ne le prédestinait à devenir une immense star de la télévision. Et pourtant, il ne s’est jamais vu travailler ailleurs que dans le milieu des médias. Pour y frayer son chemin comme il l’a fait, il faut toujours un peu de chance, admet-il avec le recul.
« Les gens auront beau dire qu’on fait notre propre chance, en réalité, la chance y est quand même pour beaucoup. Par contre, ce n’est pas elle qui te garde en place. J’ai été chanceux par exemple d’être embauché à Salut Bonjour. Mais ce n’est pas la chance qui m’a fait rester 17 ans en place. C’est le travail », conclut-il sur des paroles qui pourraient en inspirer certains.