La gauche et l’antisémitisme

« Nous ne vivons pas un antisémitisme résiduel, mais un antisémitisme pesant, visible, palpable. Notre fille l’a vécu dans sa chair. » Ceux qui parlent ainsi sont les parents de cette enfant de 12 ans violée la semaine dernière dans un local désaffecté de Courbevoie.

Un geste d’une sauvagerie tellement inconcevable qu’il est devenu, à quelques jours du premier tour, l’un des événements marquants de cette campagne éclair des élections législatives en France. L’enfant a été violée, torturée, menacée d’être brûlée et soumise à une tentative d’extorsion par trois jeunes musulmans de 12 et 13 ans pour la seule et unique raison qu’elle aurait dissimulé à son petit ami qu’elle était juive. Celui-ci lui aurait « clairement reproché d’être juive, en affirmant qu’elle était forcément pro-Israël et complice d’un génocide en Palestine », selon son avocate, Muriel Ouaknine-Melki, présidente de l’Organisation juive européenne.

Craignant des représailles depuis le pogrom du 7 octobre, sa mère avait conseillé à la jeune fille de se faire discrète. La petite avait déjà perdu des amies à cause de la religion de ses parents.

Ce viol antisémite n’est pas un fait divers. C’est un fait de société qui illustre la peur croissante dans laquelle vivent des milliers de Juifs en France. Les actes antisémites recensés ont bondi de 300 % au premier trimestre de 2024, comparativement à la même période en 2023, année où ils étaient déjà en hausse.

Certains feront mine de s’en étonner, nombreux sont pourtant ceux qui nous avaient mis en garde. Cela va de Boulaem Sansal à Kamel Daoud, en passant par Smaïn Laacher et Georges Bensoussan, qui avait été poursuivi pour avoir affirmé que, dans nombre de familles influencées par l’islamisme, « l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère ». Traîné devant les tribunaux, il sera relaxé en 2019 « de toute accusation de racisme et d’incitation à la haine ».

On pourra chipoter sur la formulation, reste que l’antisémitisme est consubstantiel à cet islamisme qui se répand en France. Nombre de familles juives fuient d’ailleurs les banlieues pour protéger leurs enfants ; certaines envisagent même de quitter le pays.

Qui aurait pu s’imaginer que 80 ans après la Seconde Guerre mondiale et 37 ans après les déclarations antisémites de Jean-Marie Le Pen, la France serait à nouveau déchirée par un tel débat ? À la différence près que cet antisémitisme est aujourd’hui associé à la gauche.

Depuis des mois, La France insoumise (LFI) refuse de qualifier le Hamas d’organisation « terroriste ». Un jour, son leader, Jean-Luc Mélenchon, accuse la première ministre d’origine juive, Élisabeth Borne, de défendre un « point de vue étranger ». Le lendemain, il reproche à la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, elle aussi d’origine juive, de « camper à Tel-Aviv ». Selon lui, l’antisémitisme serait « résiduel en France ». Une déclaration qualifiée de « scandale » par le socialiste Raphaël Glucksmann, lui-même victime de tags antisémites.

Cette complaisance relève-t-elle d’une conviction profonde ou d’une simple stratégie électorale ? Chose certaine, depuis des mois, LFI a multiplié les signes en direction de l’électorat musulman où, selon un sondage de l’IFOP publié en 2020, 57 % des jeunes de 15 à 24 ans considèrent que la loi islamique devrait avoir préséance sur celle de la République.

Hier symboles de l’« Argent », les Juifs seraient-ils devenus celui du « Colonialisme », comme on dit dans le vocabulaire woke ? Ce ne serait pas la première fois qu’une partie de la gauche pactise avec l’antisémitisme, une attitude qu’à son époque, le social-démocrate August Bebel avait qualifiée de « socialisme des imbéciles ». Les exemples vont de Jean Jaurès, qui disait que « l’oeuvre de salubrité socialiste culmine dans l’extirpation de l’être juif », à l’Humanité, qui qualifia Léon Blum de « Shylock », en passant par Pierre-Joseph Proudhon, qui désignait « le Juif » comme « l’ennemi du genre humain » et voulait « abolir les synagogues ».

Un peu d’histoire permet de constater que personne n’a le monopole de la vertu. Elle permet aussi de relativiser cette affirmation pour le moins étonnante de l’avocat Arié Alimi et de l’historien Vincent Lemire, selon qui l’antisémitisme du Rassemblement national serait « ontologique » alors que celui de LFI ne serait que « contextuel ». L’histoire montre qu’il n’y a pas d’atavisme antisémite. Jaurès n’a-t-il pas finalement défendu Dreyfus ? L’écrivain Georges Bernanos, disciple de l’antisémite Drumont, n’a-t-il pas combattu courageusement le franquisme et le régime de Vichy ?

On comprend pourquoi, en refusant de participer à la grande manifestation unitaire contre l’antisémitisme du 12 novembre dernier, Emmanuel Macron a commis l’une des fautes les plus graves de son quinquennat. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il n’a de cesse de flatter son électorat dans le sens du poil. « Certains discours politiques ont fait des Juifs des cibles légitimes », dit le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Yonathan Arfi, d’ailleurs traité d’« extrême droite » par Mélenchon. Selon une récente étude réalisée par l’IFOP, 35 % des jeunes de 18 à 24 ans estiment qu’il est justifié de s’en prendre à des juifs en raison de leur soutien à Israël.

Les parents de la jeune martyre de Courbevoie ont dénoncé avec raison un « mimétisme » sordide entre les actes perpétrés par les terroristes du Hamas et ce que leur fille a subi. Nul doute que ces événements pèseront sur les résultats de dimanche prochain.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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