Que font les immigrants temporaires?

Dans le cas de l’infirmière française Laurence Ameline, IRCC a reconnu son erreur peu après la publication d’un article du «Devoir» qui avait rapporté ses déboires, et elle a reçu son permis de travail.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Dans le cas de l’infirmière française Laurence Ameline, IRCC a reconnu son erreur peu après la publication d’un article du «Devoir» qui avait rapporté ses déboires, et elle a reçu son permis de travail.

Le gouvernement de François Legault a dit à plusieurs reprises dans les derniers mois qu’il y a trop d’immigrants temporaires au Québec et qu’il faut en réduire le nombre. Mais quels emplois occupent les immigrants temporaires ? Rencontres et analyse des dernières données.

« Si vous avez commandé sur Uber dans les dernières années, vous m’avez peut-être croisé, ou mes compatriotes », lance-t-il d’abord au téléphone. Sachin, qui a préféré taire sa véritable identité pour ne pas nuire à sa situation d’emploi, a fait de la livraison de repas à domicile par l’intermédiaire de cette plateforme durant ses études collégiales en informatique au Québec.

Arrivé de l’Inde en septembre 2021, il a un statut temporaire depuis bientôt trois ans. Quand on le rejoint dans un appartement plutôt dépouillé de Côte-des-Neiges, où il vit avec sa femme, aussi détentrice d’un permis de travail temporaire, il admet se sentir frustré d’être encore à cette case non permanente : « Ce n’est pas mon choix, c’est le système, et c’est plus dur chaque mois », dit-il d’emblée.

Après ses études, il a obtenu un permis de travail postdiplôme, mais il n’a pas décroché d’emploi dans son domaine. Il travaille en ce moment comme commis dans une épicerie la nuit : « Je ne fais que remplir les tablettes, ça n’a rien à voir avec mes compétences, mais c’est un besoin quand même. »

Le travail est la plus grande porte d’entrée

Parmi tous les immigrants temporaires, ceux qui sont présents grâce à un permis de travail forment 42 % du total, selon les plus récentes estimations de Statistique Canada. La majorité des demandeurs d’asile (119 000) détiennent aussi un permis de travail, ainsi qu’une grande proportion des étudiants étrangers (52 000), qui peuvent combiner leurs études avec un emploi à temps partiel.

Mais ceux qui sont foncièrement des travailleurs temporaires sont sous la coupe de deux programmes : le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et le Programme de mobilité internationale (PMI).

Ainsi, Sachin se trouve parmi les 41 500 anciens étudiants étrangers qui ont décroché un permis après leurs études au Québec en 2023, la composante la plus importante du PMI.

Photo: Jean Balthazard Le Devoir Sachin, d’origine indienne, a obtenu un permis de travail post-diplôme après des études collégiales en informatique au Québec.

Au total, ce sont 107 615 personnes qui ont obtenu ou renouvelé leur permis de travail lié au PMI pour la même année, dans des volets extrêmement variés. On parle ici notamment de programmes de vacances-travail ou destinés aux jeunes professionnels, d’échanges entre universités et de mutations au sein d’une multinationale.

C’est le PMI qui est particulièrement visé par le premier ministre François Legault, qui a demandé à Ottawa de réduire de 50 % le nombre d’immigrants temporaires participants. Le PMI relève surtout du fédéral, ce qui n’est pas sans irriter M. Legault, et les données détaillées sont incomplètes, la province de destination étant inconnue pour une partie des détenteurs de permis.

Ensuite, la majorité des métiers et des professions ne sont pas précisés. Une fois au pays, ces personnes sont en fait libres de postuler à des emplois, peu importe le domaine. Ces précisions n’ont été indiquées que pour environ 15 000 travailleurs temporaires qui étaient au Québec grâce au PMI l’an dernier. Ici encore, le portrait est très hétéroclite.

Le plus vieux programme

L’autre voie, le PTET, présente des données très précises, jusqu’à l’adresse de l’entreprise qui cherche à embaucher.

C’est que les 58 695 permis du PTET entrés en vigueur en 2023 au Québec portent un titre de poste et un employeur précis. Historiquement, les détenteurs se trouvaient surtout en agriculture, mais depuis l’an dernier, ils sont plus nombreux dans les autres domaines, et comptent pour 60 % du total.

L’un des domaines en croissance est le secteur de la petite enfance, pour lequel Québec rembourse une partie des dépenses de recrutement à l’étranger.

Nawel Omani a été embauchée par une garderie alors qu’elle était en visite chez sa soeur à Monunal. Son retour dans son pays d’origine, l’Algérie, avait été compromis par la pandémie, et elle s’est donc mise à chercher du travail.

Employée du secteur des communications là-bas, elle s’était déjà formée en petite enfance dans l’idée de se réorienter. Son souhait s’est concrétisé ici, à travers le PTET : « C’est vrai que le travail, physiquement parlant, est difficile, mais on reçoit tellement d’amour des enfants et la gratitude des parents. Ça n’a pas de prix. »

Photo: Jean Balthazard Le Devoir Nawel Omani travaille dans une garderie de Montréal grâce à un permis de travail temporaire.

Elle a eu le « coup de foudre » pour Montréal et espère y rester de manière permanente. « Vu que je suis plus francophone, m’établir au Québec serait l’idéal. »

Parmi les autres postes les plus sollicités par l’entremise du PTET figurent aussi ceux des secteurs de la transformation des aliments, de la cuisine et du service au comptoir (dans la restauration rapide, par exemple). S’ajoutent les métiers de soudeur, manutentionnaire, mécanicien, programmeur, conducteur de camion, préposé à l’entretien ménager et designer graphique. Au total, 385 professions figurent dans la compilation du Devoir, et plus de 12 000 entreprises.

Participation gouvernementale

Québec a lui-même recours à ce programme dans le réseau de la santé, et davantage que les autres provinces, selon une compilation de CBC. Infirmier, aide-soignant, préposé aux bénéficiaires, technologue ou technicien des sciences de la santé, pharmacien dans des CIUSSS ou personnel de soutien : tous ces postes connaissent une forte augmentation du recrutement.

Le Centre hospitalier de l’Université de Montréal est un gros employeur en la matière. Laurence Ameline, une infirmière française arrivée en 2021, explique avoir eu l’embarras du choix de sa « destination » lors du recrutement à Paris : « On m’a montré une carte et on m’a demandé de choisir l’endroit où je souhaitais travailler. »

Le Devoir a rapporté récemment ses déboires de renouvellement de permis, une erreur qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a reconnue et corrigée peu après la publication.

Soif d’être permanents

À l’instar de cette infirmière, tous les immigrants temporaires rencontrés par Le Devoir ne demandent qu’à devenir permanents. Mais les possibilités ne sont pas les mêmes pour tous.

Sachin, qui travaille actuellement dans une épicerie, ne parle pas assez bien français pour se qualifier pour la résidence permanente. « Le plus gros problème est que les règles n’arrêtent pas de changer », dit-il. Avec un emploi dans son domaine et une voie stable vers l’immigration permanente, il serait beaucoup plus motivé à apprendre la langue, explique-t-il. Entre-temps, les listes d’attente sont longues et l’allocation « ne [lui] permet pas de payer les factures », soulève-t-il.

S’il terminait tous les cours de francisation du gouvernement, il devrait aussi passer un test de français entièrement conçu et administré en France pour faire la preuve de sa connaissance linguistique.

Quant à Nawel Omani, elle a bon espoir de se qualifier, même si elle trouve que « les lois changent à tout moment ». « On n’a pas une grande visibilité dans le temps pour se projeter. » Avec sa soeur et ses nièces installées ici, un logement, un emploi et un réseau naissant, elle considère son intégration comme déjà bien avancée. « Qu’il y ait cette notion de travailleur temporaire ou résident permanent, il faut voir les gens comme des personnes », souffle-t-elle.

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