FIJM: jazz, pas jazz, on y va !
Hier, quelque chose comme une soirée parfaite au Festival international de jazz de Montréal. Le week-end qui s’étire jusqu’au lundi, les festivaliers profitant de la chaleur et d’une douce brise et, surtout, un programme jazz de très haut calibre offert sur la Place des Festivals : électrique et emballant concert du trompettiste-multiinstrumentiste louisianais Chief Adjudah et son ensemble à 19 h 30, suivi de l’heureux mariage jazz-rap du compositeur et pianiste Robert Glasper, décidé à faire danser la foule avec son quartet.
En début de ce concert étiqueté « L’Événement spécial » de la 44e édition du FIJM, on se demandait bien qui seraient les invités spéciaux devant rejoindre, était-il inscrit au programme, Glasper et ses collègues sur scène ; au moment où nous avons dû quitter la Place des Festivals, quelque 15 minutes avant la fin dudit concert, la seule invitée que nous avons vu monter sur scène fut la fillette du pianiste qui nous a salués, serrée dans les bras de papa.
À moins d’une surprise de dernière minute, il n’y a pas eu d’invités, ce qui n’a absolument pas atténué notre appréciation de la performance. Glasper et ses experts accompagnateurs nous ont amplement suffi. Nous ont aspiré dans leurs grooves fusionnant le jazz, le hip-hop et le R&B comme peu d’autres quartets ont sur le faire depuis une douzaine d’années. Leur offrir le privilège d’animer « L’Événement spécial» du festival était pleinement justifié, avec ou sans invités spéciaux.
S’appuyant sur le socle que forme le corpus de chansons tirées de sa série d’albums Black Radio (le premier paru en 2012, le plus récent en 2022), Glasper a vite installé l’ambiance dans le centre-ville, avec un orchestre à peu près identique à celui qu’il présentait il y a deux ans au Théâtre Maisonneuve — Burniss Travis à la basse électrique, DJ Jahi Sundance aux platines et aux échantillons, seul Justin Tyson à la batterie (accompagnateur d’Esperanza Spalding, entre autres) n’était pas du dernier voyage. Et pourtant, le concert d’hier soir nous fut, à plusieurs égards, bien différent.
Il y a deux ans, Glasper et ses musiciens expérimentaient davantage, s’égaraient même parfois dans de sinueux jams jazz-funk-rap fusion ; hier, devant une immense foule à conquérir, le pianiste a concentré ses grooves, évitant les dérapages appréciés des férus de jazz – ce qui ne signifie pas qu’il ait joué de prudence, comme l’a démontré ce long et nourrissant échange entre lui, au piano électrique, et Tyson durant Black Superhero (tirée de Black Radio III, 2022), offert en début de concert.
Cette performance fut donc un concentré de l’expérience Robert Glasper, le groove qui vise les hanches et les improvisations sophistiquées s’adressant à notre cerveau, cette section rythmique tributaire de l’influence du regretté compositeur J Dilla, avec Travis l’impassible, presque invisible sur scène, ses lignes de basses aussi profondes qu’agiles, et Tyson sa frappe chirurgicale et étrangement funky. Glasper s’amusait sur les touches de ses pianos électriques, Jahi Sundance mettant sa sauce d’effets spéciaux et d’échantillons vocaux. Du bonbon.
À 19 h 30, Chief Adjuah, avons-nous ressenti, a pris par surprise le public festivalier qui découvrait le travail du chef d’orchestre (et de la nation Xodokan, en Louisiane), cet alliage de jazz moderne, de rythmes traditionnels africains et de chants autochtones. Celui qui s’est fait un nom sur la scène jazz américaine à titre de trompettiste s’est pointé sur scène avec un de ses Adjuah bows, un instrument conçu à sa mesure, sorte de kora électrique grâce à laquelle il a dirigé son orchestre (contrebasse, guitare électrique, batterie et claviers) dans un puissant jam afro-jazz-rock.
Là encore, la performance a atteint un niveau d’énergie bien différent de celle qu’il avait déployée au Monument-National en 2022, toujours à l’affiche du FIJM. Après deux chansons (puisque le Chief chante aussi) qui ont semblé consterner l’auditoire, il a agrippé sa trompette pour aiguiller sa performance sur des rails plus jazzés, mais toujours tendus par le jeu expressif du guitariste. Lui, cependant, avait une invitée spéciale, et non la moindre : Elena Pinderhughes, jeune prodige de la flûte traversière, qui a rejoint l’orchestre pour deux ou trois mémorables morceaux.
L’écoutant jouer avec un tel brio, un collègue, à la blague, nous a glissé à l’oreille que Pinderhughes devrait donner des leçons au rappeur André 3000, dont le concert la veille, à la salle Wilfrid-Pelletier, s’est avéré être un non-événement.
Le coloré MC, membre du duo culte d’Atlanta Outkast depuis converti aux flûtes, revenait à Montréal dans la foulée de la parution, en novembre dernier de son album double jazz-new age (au demeurant fort agréable si on ressent le besoin de détendre nos tympans) New Blue Sun. La scène plongée dans l’obscurité, André 3000 et ses quatre accompagnateurs ont lancé le concert dans un capharnaüm simili-free-jazz de percussions et de synthés, à travers laquelle il était difficile de discerner son jeu.
Le hic, c’est que lorsque la rythmique a baissé de ton, le jeu que l’on discernait était en deçà des attentes, si tant est que nous en eussions puisque ce concert était d’abord un objet de curiosité d’un rappeur admiré qui apprend encore à jouer de ses flûtes.
Tout le programme était improvisé, nous a-t-il indiqué lors de sa première intervention. Hormis la facture sonore générale des longs passages calmes, aucun thème, aucun motif mélodique, nous rappelait les confortables qualités de son album. Aucune conversation, aucun échange nourrissant, apparaissait dans le jeu des musiciens parmi lesquels on comptait Carlos Niño à la batterie, le gourou de cette scène jazz-ambient-expérimentale californienne à laquelle s’est greffé l’ex-rappeur. Soulignons tout de même la contribution du claviériste Surya Botofasina, les harmonies et les couleurs de ses synthés conférant une certaine cohésion à cette courte (80 minutes) performance dont on retiendra surtout le travail, franchement réussi, de l’éclairagiste.