Joyeux anniversaire, Monsieur Jones !
C’est l’idée de Céline Peterson, fille d’Oscar et intime d’Oliver Jones, et de Jim Doxas, qui a accompagné à la batterie pendant une douzaine d’années le compositeur, pianiste et band leader montréalais : monsieur Jones célébrera le 11 septembre prochain son 90e anniversaire, alors pourquoi ne pas lui faire une fête, entre admirateurs et amis ? Samedi, une dizaine de collègues partageront la scène du théâtre Jean-Duceppe pour lui offrir des interprétations de morceaux choisis de son répertoire, de celui de son mentor, Oscar Peterson, et des standards qu’il chérissait, tout ça pour le remercier d’être encore là. Témoignages de Lorraine Desmarais et de Jim Doxas.
« On s’est dit, Céline et moi, qu’au lieu de monter un all-star band avec des musiciens d’ici, des États-Unis, du Canada et d’Europe, pourquoi ne pas monter plutôt un hommage avec les proches de monsieur Jones, avec ceux qui ont été marqués par lui ? » résume Jim Doxas, qui connaît Oliver Jones depuis plus de 35 ans et a partagé la scène avec lui pendant « 12 ans et plus de 500 concerts ».
Lorraine Desmarais fréquente Oliver Jones depuis son retour de Porto Rico (où il a dirigé pendant des années un orchestre de jazz et de calypso), au début des années 1980 : « Quand j’ai commencé à jouer sur scène, je ne donnais pas encore de concerts, je faisais du piano-cocktail à l’hôtel Four Seasons, dans le centre-ville. Oscar aussi, mais à l’étage au-dessus ; lorsque je prenais ma pause, je montais l’entendre jouer — et lui descendait m’écouter quand il prenait la sienne ! »
Les deux pianistes se sont liés d’amitié, échangeant sur leurs passions communes pour le jazz et la musique classique. Monsieur Jones ayant élu domicile au club Biddle’s (avec son trio, Charles Biddle à la basse, Bernard Primeau à la batterie), il demandait à Lorraine Desmarais de le remplacer lorsque son emploi du temps l’éloignait du club de la rue Aylmer. « Il m’avait demandé de lui composer une pièce, intitulée Odalisque, qu’il a endisquée sur l’album Just in Time [1998], abonde la pianiste. Quel défi d’écrire quelque chose pour Oliver Jones ! Je ne l’ai jamais moi-même jouée sur scène, ce que je ferai au concert — ce sera une première, j’espère qu’il va l’aimer ! »
Jim Doxas et ses collègues ont préparé un programme surtout constitué des compositions de Jones, dont Lights of Burgundy, tirée de l’album du même nom (1985). Le pianiste Rafael Zaldivar interprétera une pièce composée pour l’occasion. « En plus des chansons d’Oliver, il y aura un arrangement jazz d’un extrait de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, parce qu’il a toujours aimé la musique classique. Et des chansons de son ami et mentor Oscar Peterson, dont Hymn to Freedom », enregistrée d’abord pour le chef-d’oeuvre Night Train (1962).
Humilité, convivialité
Un des meilleurs pianistes jazz au pays dans les années 1980 et 1990, Oliver Jones est reconnu pour sa touche délicate et sa technique agile, à l’image des styles d’Art Tatum, de Nat King Cole, d’Ahmad Jamal et d’un autre géant chéri des jazzophiles montréalais, Oscar Peterson, dans l’ombre duquel il a bâti sa carrière. Il n’a non seulement pas souffert de la comparaison avec cet autre enfant du quartier de la Petite-Bourgogne, mais il l’accueillait, affirme Jim Doxas.
« Oliver a toujours été à l’aise avec cette comparaison, car Oscar Peterson était un dieu du jazz. Pas seulement à Montréal ou au Canada, mais dans le monde ; il était parmi les meilleurs de son époque. Toutefois, j’ajouterais qu’Oliver lui vouait une grande admiration pour sa musique, sa technique, mais également parce qu’il était la preuve qu’un Noir pouvait aussi avoir une telle carrière. Avant de parler de sa musique, Oliver parlait de Peterson comme d’un gars de chez lui, qui a grandi au coin de sa rue, et qui s’est fait un nom à travers le monde, quelque chose qui, à l’époque, semblait difficile, sinon impossible. C’était un modèle extraordinaire, comme l’a été Jackie Robinson [au baseball] ».
Or, Oliver Jones possédait quelque chose d’unique, explique Lorraine Desmarais : « Oscar Peterson, c’était un maître technicien, un virtuose, qui faisait une musique emballante. Oliver Jones était un technicien aussi, emballant, et virtuose aussi, mais ce qu’il apportait de plus, c’était une dimension amicale, conviviale à sa musique. Il était encore plus accessible pour le public, dans ses tournures de phrases musicales, dans sa façon de jouer, sa façon d’être, aussi. Ce qu’on remarque d’Oliver, c’est le sourire qu’il affiche toujours lorsqu’il joue. »
« Une des forces d’Oliver, c’est qu’il ne jouait pas pour lui-même, confirme Jim Doxas. Il a toujours d’abord pensé au public qui était là pour l’écouter, il ne cherchait pas à l’aliéner avec un répertoire ou des interprétations trop audacieuses. C’est un entertainer, à la base, là pour plaire au public. Ce que j’ai toujours trouvé extraordinaire de lui, c’est qu’avant un concert, on ne faisait jamais de setlist, de programme de chansons à jouer. Il disait : “Je ne comprends pas comment on peut préparer un programme si on ne connaît pas l’énergie du public.” »
On en a tout de même préparé un, programme, pour le grand musicien, qui a confirmé sa présence. Lorraine Desmarais a elle-même vécu ce genre d’hommage, lors d’un concert soulignant ses 40 ans de carrière, présenté au FIJM il y a deux ans, au Monument-National. « C’est touchant, confie-t-elle. On est fébrile pendant la soirée, ça provoque tout le temps de belles rencontres entre musiciens. Et pour Oliver, ce sera un beau moment de grâce. Il le mérite bien. »