Le Festival des arts de ruelle jongle pour rester en vie

Léa Philippe espère sauver le Festival des arts de ruelle, dont elle est la directrice générale, en lançant une campagne de socio-financement.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Léa Philippe espère sauver le Festival des arts de ruelle, dont elle est la directrice générale, en lançant une campagne de socio-financement.

« À moins d’un miracle, le FAR va disparaître. » Ne recevant pas un sou du gouvernement provincial cette année, son principal bailleur de fonds, le Festival des arts de ruelle pourrait bien connaître sa toute dernière édition à Montréal cet été. À court de solutions, sa directrice générale lance un cri du coeur, espérant sauver son festival.

« Mon deuil a commencé, même si, au fond de moi, j’ai du mal à y croire », laisse tomber Léa Philippe. L’émotion la gagne rien que d’admettre à haute voix la fin imminente de ce projet qu’elle porte à bout de bras depuis huit ans. « On va lancer une campagne de sociofinancement bientôt, mais je doute qu’on récupère les quelque 150 000 $ qu’on a en moins comparativement à l’an dernier. »

Né d’une initiative citoyenne, le FAR rassemble chaque année chanteurs, danseurs, échassiers et acrobates dans des ruelles de Montréal pour faire découvrir, gratuitement, les arts de rue aux citoyens. Popularisé pendant la pandémie, lorsque les spectacles en salles étaient mis sur pause, l’événement a pris de l’expansion. Il compte désormais plus de 300 artistes et investit neuf quartiers de la métropole.

Pour offrir une telle programmation, le FAR a bénéficié pendant trois ans de l’aide d’urgence pour les artistes et organismes culturels, mis en place durant la pandémie par Québec. En 2023, le festival a reçu le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) à travers un nouveau programme aidant la « présentation d’oeuvres dans l’espace public » et pour lequel Léa Philippe a longtemps milité.

Le FAR a toutefois appris en mars qu’il devait tirer un trait sur cette subvention, qui s’élevait à 80 000 $ l’an dernier. « Pour nous, c’est énorme ! On s’est fait dire que c’était un concours artistique et qu’on n’a pas gagné cette fois-ci », raconte Léa Philippe, qui peine à comprendre cette décision. « On a gagné des prix soulignant notre pertinence, on a même été cité en exemple par le CALQ pour notre initiative. Ça n’a aucun sens. »

Le FAR ne peut présenter de demande à aucun autre programme du CALQ. Celui-ci exige des diffuseurs une majorité de revenus de billetterie pour être admissibles à une aide. « C’est impossible au FAR, de par la géométrie des lieux, on ne peut pas clôturer des ruelles, et le but, c’est de démocratiser les arts de rue en offrant des performances gratuites », soutient Mme Philippe.

À court de solutions

Le FAR perd aussi cette année une subvention de 9000 $ de Tourisme Montréal, faute de pouvoir chiffrer l’impact touristique de son événement. L’enveloppe provenant des arrondissements qui l’accueillent a fondu de plus de 15 000 $. Et c’est sans parler du soutien privé, à travers les commandites, qui a grandement diminué.

L’instigatrice du FAR attend encore des nouvelles de sa demande de subvention auprès du gouvernement fédéral. « L’an dernier, on a perdu 66 % d’aide au fédéral. Cette année, je m’attends à de nouvelles coupes. »

« Je ne sais plus quoi faire ! J’ai parlé avec tellement de ministres, tellement de députés, tellement de maires d’arrondissement et d’élus. Depuis mars, j’ai passé des dizaines d’heures par semaine à faire des démarches et de la représentation politique. […] J’aimerais bien couper dans mon salaire pour sauver le festival, mais j’en ai pas, je suis bénévole. »

Les arts de rue en péril ?

Le FAR est loin d’être le seul festival en difficulté. Parmi les quelque 120 membres du Regroupement des festivals régionaux artistiques indépendants (REFRAIN), une trentaine ont été exclus du financement du CALQ cette année.

« Les gouvernements ferment les valves, il n’y a plus d’aide COVID. Avec l’inflation, les coûts ont augmenté et les gens coupent dans leurs dépenses en culture. C’est une tempête parfaite », analyse Patrick Kearney, président du REFRAIN.

Il s’inquiète surtout pour les arts de rue, les deux principaux festivals voués à cette discipline — le FAR et le Festival international d’amuseurs publics CHAPO à Mascouche — étant au bord du gouffre.

L’annulation du festival Juste pour rire, qui réservait une belle place aux arts de rue, est aussi un coup dur. Le groupe ComediHa ! a confirmé au Devoir couper ce volet dans la programmation de sa première édition montréalaise — qui remplacera Juste pour rire —, mais assure qu’il « reviendra en force l’an prochain à ce sujet ».

« Je comprends que les ressources des gouvernements sont limitées, mais on a bien vu qu’ils sont capables de trouver des fonds lorsqu’ils souhaitent vraiment sauver un festival », note M. Kearney avec amertume, faisant référence aux millions de dollars accordés en mai au groupe ComédiHa ! pour justement créer ce nouveau festival d’humour.

Dans un courriel envoyé au Devoir, le ministère de la Culture se défend d’avoir accordé une aide « exceptionnelle » à ComediHa !, expliquant que « la tenue d’un événement d’humour d’envergure à Montréal était importante pour l’économie de la métropole ainsi que pour l’écosystème humoristique québécois ». Le ministère se dit par ailleurs « bien conscient des difficultés rencontrées par le milieu festivalier ». « Dans un contexte budgétaire difficile, le ministère et l’équipe du CALQ ont déployé les efforts nécessaires pour appuyer les festivals de toutes tailles et présentés dans toutes les régions du Québec avec agilité et écoute », écrit Catherine Vien-Labeaume, porte-parole du ministère.

« Je pense que ça prendrait une meilleure répartition de la tarte entre ceux qui n’ont rien du tout et ceux qui reçoivent de l’aide de tous les ordres » de gouvernement, affirme M. Kearney, qui craint de voir des festivals disparaître dans la prochaine année.

À voir en vidéo