Que faut-il retenir de la décision de la Cour suprême sur l’immunité de Trump?
La Cour suprême des États-Unis a statué lundi que l’ancien président Donald Trump était à l’abri de toute poursuite pour les actes officiels accomplis pendant son mandat, mais pas pour ceux qui ne le sont pas. Le jugement, rendu à 6 voix contre 3, a divisé les juges selon leurs penchants idéologiques. Voici ce qu’il faut savoir sur cette décision.
Qu’est-ce que l’immunité présidentielle ?
D’une manière générale, il s’agit de la théorie juridique selon laquelle les présidents passés et actuels bénéficient d’une certaine protection contre les poursuites judiciaires. Dans le contexte du jugement de la Cour suprême de lundi, il s’agit de la décision selon laquelle M. Trump et d’autres personnes sont à l’abri de poursuites pour des actions entreprises dans l’exercice de leurs « pouvoirs constitutionnels essentiels » et ont droit à la présomption d’immunité pour leurs actes officiels. Cette immunité ne s’applique pas aux actes privés ou non officiels.
Le juge en chef de la Cour suprême, John G. Roberts Jr., a déclaré que l’immunité présidentielle était nécessaire pour garantir un « exécutif énergique et indépendant » et pour éviter un pouvoir exécutif qui « se cannibalise lui-même, chaque président étant libre de poursuivre ses prédécesseurs, mais incapable de s’acquitter de ses fonctions avec audace et sans crainte, de peur d’être le prochain à être poursuivi ».
Toutefois, l’opinion majoritaire a déclaré que le gouvernement pouvait déroger à la présomption d’immunité pour les actes officiels d’un ancien président s’il pouvait démontrer que la poursuite intentée en vertu d’une action en particulier n’empiétait pas sur « l’autorité et les fonctions de la branche exécutive », a rapporté le Washington Post.
À lire aussi
Qu’est-ce que la Cour suprême a défini comme des actes « officiels » par rapport à des actes « non officiels » ?
La Cour suprême a statué que la charge officielle d’un président peut s’étendre à toutes les actions tant qu’elles ne dépassent pas « manifestement ou de manière palpable » son autorité.
Elle précise que la conduite officielle pour laquelle M. Trump bénéficie d’une immunité de poursuites comprend ses discussions avec des fonctionnaires du département de la Justice dans le sillage de l’élection présidentielle de 2020, discussions au cours desquelles il a cherché à les convaincre de soutenir vigoureusement des allégations infondées de fraude électorale.
Si les tentatives de M. Trump de faire pression sur le vice-président Mike Pence pour qu’il modifie les résultats de l’élection peuvent être considérées comme une conduite officielle, pour laquelle il est « présumé être immunisé », les procureurs peuvent néanmoins faire valoir qu’une accusation liée aux communications avec le vice-président concernant la certification de la victoire de Joe Biden n’empiète pas sur les fonctions de l’exécutif, a rapporté le Post.
Les interactions de M. Trump avec des représentants de l’État et des particuliers lors de ses tentatives d’annuler les résultats de l’élection de 2020 « ne peuvent pas être catégorisées comme relevant d’une conduite officielle », a déclaré l’avis majoritaire de la Cour suprême. La Cour a ordonné au tribunal du district de Washington de « déterminer en première instance […] si la conduite de M. Trump dans ce domaine peut être qualifiée d’officielle ou de non officielle ».
La plupart des « communications publiques d’un président sont susceptibles de se situer confortablement dans les limites de ses responsabilités officielles », ce qui signifie qu’elles sont couvertes par l’immunité, ont également déclaré les juges.
Que signifie pour Trump la décision sur l’immunité présidentielle ?
À court terme, la décision est favorable à M. Trump dans la poursuite pour ingérence électorale intentée contre lui à Washington, de laquelle émane sa demande d’examen de l’immunité présidentielle, qui a donné lieu à la décision de lundi.
L’affaire portée devant le tribunal du district de Washington, dans laquelle M. Trump doit répondre de quatre chefs d’inculpation liés à l’accusation d’avoir conspiré pour renverser l’élection du 6 janvier, a été considérablement affectée par la décision de la Cour suprême et sera désormais retardée. Le juge doit déterminer quels actes accomplis étaient « officiels », et donc à l’abri des poursuites, et lesquels étaient « non officiels » et pouvaient faire l’objet de poursuites. Il est très peu probable que cette décision intervienne avant les élections de novembre.
Pour ce qui est des deux autres affaires pénales engagées contre M. Trump, la décision pourrait également avoir une incidence sur l’affaire d’ingérence électorale dont il fait l’objet en Géorgie. Il n’est pas certain qu’elle aura une incidence sur l’affaire dont il fait l’objet en Floride, concernant des documents classifiés trouvés à Mar-a-Lago après son mandat présidentiel. Enfin, ses avocats ont déjà interjeté appel de sa condamnation à New York pour avoir dissimulé un paiement occulte versé à une actrice de films pour adultes peu avant l’élection de 2016.
D’une manière plus générale, les détracteurs de l’arrêt de la Cour suprême, dont le président Joe Biden, ont mis en garde contre le fait que M. Trump pourrait s’enhardir au cours d’un éventuel second mandat, sachant qu’il bénéficierait d’une immunité pour des actes qui l’auraient auparavant exposé à des poursuites.
Quel était l’avis des juges dissidents ?
La Cour était divisée selon des lignes idéologiques, la majorité conservatrice — le juge en chef John G. Roberts Jr. et les juges Clarence Thomas, Samuel A. Alito Jr., Amy Coney Barrett, Neil M. Gorsuch et Brett M. Kavanaugh, ces trois derniers ayant été nommés par M. Trump — donnant raison à l’ancien président. De l’autre côté, les juges libéraux Sonia Sotomayor, Ketanji Brown Jackson et Elena Kagan ont exprimé leur désaccord.
Dans une dissidence cinglante, la juge Sotomayor a dressé une liste d’actions qui, selon elle, seraient protégées par l’arrêt, notamment l’organisation d’un coup d’État militaire par un président, l’assassinat d’un rival ou l’acceptation d’un pot-de-vin en échange d’une grâce. Cette décision « profondément erronée » « remodèle l’institution de la présidence » et « tourne en dérision le principe, fondamental pour notre Constitution et notre système de gouvernement, selon lequel aucun homme n’est au-dessus de la loi », a-t-elle écrit.
« Les conséquences à long terme de la décision d’aujourd’hui sont très lourdes, a-t-elle fait valoir, ajoutant : Dans chaque utilisation du pouvoir officiel, le président est désormais un roi au-dessus de la loi. »