Les cartes à jouer, oeuvres d’art et divertissement, s’exposent à l’Université McGill

Les cartes à jouer sont devenues plus courantes dans les chaumières dans la première moitié du XIXe siècle.
Photo: Jacquelyn Sundberg Bibliothèques de l’Université McGill Les cartes à jouer sont devenues plus courantes dans les chaumières dans la première moitié du XIXe siècle.

Rectangulaires, selon la version la plus courante au XXIe siècle, mais parfois aussi rondes ou carrées, les cartes à jouer ont marqué les réunions familiales des Québécois, tout comme la vie de la cour en Chine et en Inde à travers les siècles. Autrefois réservées aux aristocrates et aux riches marchands, elles se sont démocratisées avec les progrès de l’imprimerie et l’industrialisation, laquelle a lentement mais sûrement jeté les bases de la « société de loisirs ». C’est ce que nous apprend une charmante petite exposition issue des collections spécialisées et des livres rares de l’Université McGill.

Le paquet de 52 cartes en papier, avec des rois, des reines et des valets, entre autres, est celui qui est le plus répandu en Europe et en Amérique du Nord. Mais il n’est qu’une version parmi tant d’autres ! Les enseignes coeur, carreau, trèfle et pique, d’origine française, finirent par s’imposer en Angleterre — et un peu partout par la suite. Mais on trouve dans d’autres pays européens des enseignes différentes, comme les épées, les grelots, les glands et les boucliers. Les cartes à jouer arborent des illustrations remplies de symboles, qui rappellent souvent la hiérarchie des sociétés qui les ont fabriquées.

L’exposition À qui la chance ? Des jeux pour tous les goûts a été montée par Jacquelyn Sundberg, bibliothécaire des collections rares et spécialisées des bibliothèques de l’Université McGill. Elle nous montre bien d’autres exemples de cartes à jouer, qui illustrent une histoire riche en design, en art et en typographie. On trouve ainsi, blottis dans les vitrines, des jeux de société rares, de diverses époques, car les collections des bibliothèques de McGill vont au-delà des livres et contiennent de nombreux objets d’époque, comme des marionnettes, a-t-elle ajouté.

De toutes les formes et de toutes les couleurs

Pour illustrer la diversité des cartes à jouer, la bibliothécaire montre des cartes circulaires « très colorées », fabriquées à la main vers 1920 en Inde — mais dont la technique est vieille de plusieurs siècles —, provenant de la collection de McGill. Le procédé de fabrication est complexe : les cartes sont faites de couches de tissu, recouvertes d’une fine couche d’argile ; elles sont ensuite peintes à la main et finalement enduites d’une couche résineuse faite de graines de tamarin qui les rend résistantes. Toutes différentes, elles représentent des animaux (des représentations du dieu hindou Vishnou) et des symboles, explique Mme Sundberg en entrevue.

« C’est très différent. Ce n’est pas comparable aux cartes que l’on connaît aujourd’hui. »

Les plus anciennes de la collection, en provenance de la Chine et du Japon, sont gravées à la main sur des tuiles d’ivoire — qui se rapprochent vraisemblablement le plus des premiers jeux de cartes, dit-elle.

Photo: iStock Le paquet de 52 cartes en papier, avec des rois, des reines et des valets, entre autres, est celui qui est le plus répandu en Europe et en Amérique du Nord. Mais il n’est qu’une version parmi tant d’autres!

Car on trouvait déjà des cartes à jouer en Chine au IXe siècle, sous la dynastie Tang. Plus faciles à transporter que d’autres types de jeux, elles se sont répandues vers l’ouest le long des routes commerciales, conquérant la Perse et l’Égypte avant d’aboutir en Europe au XIIIe siècle, adoptant au passage de nouveaux règlements, de nouveaux styles et de nouveaux usages, apprend-on dans l’exposition. Bien des jeux, encore populaires aujourd’hui, se jouent selon des règles que l’on retrouve écrites dans des documents datant du XVIIIe et du XIXe siècle.

Certaines cartes à jouer sont de réelles oeuvres d’art, dit la curatrice de l’exposition. Elles sont aussi parfois utilisées pour représenter différentes traditions locales et des costumes nationaux, et sont parfois vendues comme souvenir de voyage, comme cette série arborant des photographies en noir et blanc de Montréal. Des paquets ont même été vendus avec de petits coffrets de voyage en cuir.

L’âge d’or des cartes à jouer

Les cartes à jouer sont devenues plus courantes dans les chaumières dans la première moitié du XIXe siècle, avec l’industrialisation, qui a entraîné dans sa foulée l’expansion de la classe moyenne, qui « avait plus de temps, de loisirs et d’argent ». Auparavant, qui pouvait se permettre de passer des heures à manipuler de petits morceaux de carton ? La technologie a fait des avancées remarquables et a rendu leur fabrication plus abordable : la demande pour ces cartes à jouer a ainsi augmenté de façon exponentielle. « Avant, elles étaient faites à la main et coûtaient très cher. Avec les progrès dans le domaine de l’imprimerie, c’est devenu accessible à beaucoup plus de monde. »

Ainsi, beaucoup de cartes ont été fabriquées en manufacture à l’ère de la reine Victoria, en Angleterre comme aux États-Unis. Dans la collection, on peut d’ailleurs observer un magnifique jeu de cartes illustrées d’images colorées de contes de fées, comme Cendrillon et le Chat botté, fabriqué à New York vers 1890.

Avant, elles étaient faites à la main et coûtaient très cher. Avec les progrès dans le domaine de l’imprimerie, c’est devenu accessible à beaucoup plus de monde.

Et comme les jeux de société et les cartes étaient d’excellentes vitrines pour les innovations en imprimerie et en fabrication manufacturière, ils ont aussi en quelque sorte servi de publicités. Plusieurs paquets de cartes portaient le nom de l’imprimeur et parfois même la liste d’autres produits imprimés qu’il mettait en marché, explique Mme Sundberg. « Une technique de marketing efficace. » L’entreprise McLoughlin Brothers, aux États-Unis, s’est taillé une solide réputation dans l’industrie au XIXe siècle avec ses livres pour enfants arborant des illustrations en couleur et de nombreux jeux de société, raconte Mme Sundberg. « C’est vraiment une industrie qui a explosé », ajoute-t-elle.

Apprendre en jouant

Les cartes ne servaient pas qu’à se divertir : certaines avaient aussi un rôle éducatif. « Elles servaient également pour transmettre une certaine morale », dit Mme Sundberg.

Dans la collection, on peut voir un jeu de cartes sur la vie de Marguerite Bourgeois. Bleu pâle, imprimé sur un carton mat, sans dessins ni fioritures, c’est « l’un des jeux les moins beaux de la collection. C’est vraiment plate ». Avec ses 60 cartes de questions-réponses sur la vie de cette femme qui a fondé une congrégation religieuse en Nouvelle-France et des écoles, on apprend beaucoup sur sa vie, mais probablement sans réellement s’amuser, laisse-t-elle tomber.

Beaucoup d’efforts et de lois, surtout en Angleterre au XIXe siècle, ont été faits pour rendre illégaux les jeux de hasard et les jeux d’argent, « au même titre que la prostitution et les duels ». Alors, des jeux éducatifs ont été créés, qui cherchaient vraiment à prendre leurs distances de ces jeux honnis, surtout ceux qui se jouaient avec des dés, fait-elle valoir.

Les fêtes de famille des Québécois se sont souvent accompagnées de parties de cartes animées, fort tard dans la nuit. « Ils ont la capacité d’unir les gens ou de les diviser en étant une énorme source de discussions sur les règles », raconte Mme Sundberg. Tout le monde ne s’entend pas sur la façon de jouer : « c’est pour cela que j’ai inclus dans l’exposition quelques livres historiques — fort épais — de règles de jeux comme le bridge et le whist. »

À qui la chance ? Des jeux pour tous les goûts

L’exposition est présentée jusqu’au 31 août à la bibliothèque McLennan de l’Université McGill, au

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