S'exiler en Beauce comme «réfugiés économiques» pour enfin trouver un toit
Êtes-vous bien chez vous ? Ou rêvez-vous de déménager ? En pleine crise du logement, Le Devoir a fait appel aux récits de lecteurs, qui seront publiés au cours de l’été. Un couple de retraités nous a invités dans son nouveau village, en Beauce. La quête d’un toit peut devenir une course à obstacles.
Un jour, Jean Riopel et Angèle Morin en ont eu assez de se demander pendant combien de temps ils auraient encore un toit. Après deux décennies à tirer le diable par la queue, à aller d’un logement hors de prix à un demi-sous-sol insalubre à une rénoviction, le couple de retraités a pris les grands moyens pour échapper à la précarité. Ces Montréalais ont décidé de refaire leur vie dans une région où ils auraient les moyens d’acheter une maison. N’importe où au Québec.
Ils ont écumé les sites immobiliers durant des semaines. Ils ont fini par dénicher la perle rare à Saint-Zacharie, une municipalité de 1684 âmes située en Beauce, au bout d’une longue route toute en vallons, à cinq kilomètres de la frontière avec le Maine.
Une aubaine les attendait dans ce village isolé : une maison de quatre chambres était offerte à 38 000 $. Presque deux fois moins que le prix moyen d’une voiture neuve (qui était de 67 259 $ à la fin de 2023, selon Autohebdo). Ils l’ont négociée pour 35 900 $. Grâce à un petit héritage, ils ont pu changer la fournaise, le chauffe-eau, les portes et les fenêtres.
Le couple remercie le ciel d’avoir eu le courage de faire ce geste radical — tout quitter pour repartir à zéro dans une région où ils n’avaient jamais mis les pieds. « On est des réfugiés économiques. Le fait d’être ici, ça nous a sauvés. Ça a été la meilleure chose qu’on pouvait faire », raconte Jean Riopel, attablé dans sa cuisine à Saint-Zacharie.
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Crise perpétuelle
L’achat de leur maison remonte à l’année 2018. Avant ce qu’on appelle aujourd’hui la « crise du logement ». Mais Jean Riopel et Angèle Morin, qui ont travaillé toute leur vie pour des salaires modestes, vivent une crise du logement depuis presque 20 ans.
Ils ont été évincés en 2005, avec leurs trois enfants en garde partagée, d’un immense appartement à 475 $ par mois dans le quartier Hochelaga, à Montréal. « À partir de là, on a vécu la dégringolade », résume Angèle Morin.
Depuis, les enfants ont quitté le nid familial, mais les deux retraités ont dû se démener pour se loger. Perte d’emploi, faillite, séjour forcé dans un demi-sous-sol moisi, grosse déprime, le couple a multiplié les déménagements — encore dans Hochelaga, puis dans Rosemont, à Saint-Félix-de-Valois et à Joliette, dans Lanaudière, avant leur exil en Beauce.
Même après avoir fait leur nid à Saint-Zacharie, Jean Riopel et Angèle Morin ont dû une fois de plus se « virer de bord sur un dix cennes », comme on dit ici. Avec l’explosion du coût de la vie qui a suivi la pandémie de COVID-19, ils ont eu de la difficulté à joindre les deux bouts.
L’an dernier, ils ont vendu leur maison à un couple de Laval. Ils devaient maintenant trouver un logement à prix raisonnable. Pas évident à Saint-Zacharie, où les appartements en location se comptent pratiquement sur les doigts d’une main (à part les HLM).
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- Ce texte est publié via notre section Perspectives.
Rayon de soleil
Il faut croire qu’il y a une bonne étoile pour les « réfugiés économiques » en temps de crise : un charmant logement s’est libéré à cinq minutes de marche de leur maison. Le loyer est à un prix inespéré : 390 $ par mois pour cet appartement de deux chambres dans un haut de triplex où le soleil entre toute la journée.
« Il ne faut pas abuser si on veut avoir de bons locataires », explique Armoza Turgeon, copropriétaire du bâtiment avec sa soeur.
Elle connaît l’état du marché de la location dans la région, mais refuse d’alimenter la crise du logement, qui sévit ici comme ailleurs. Dans les municipalités environnantes, des appartements sont affichés à 1200 $, 1300 $, 1600 $ par mois. Les pancartes « logement à louer » ou « maison à vendre » s’envolent dans le temps de le dire.
Jean Riopel et Angèle Morin se pincent parfois en réalisant leur chance d’avoir enfin trouvé un cocon douillet. Le lumineux logement est décoré avec goût. Des reproductions de toiles ornent les murs. Un tableau montre une ruelle d’Hochelaga, comme pour rappeler leur ancienne vie. Livres, CD et vinyles se disputent les rayons des bibliothèques.
Vie de village
La vie est bonne à Saint-Zacharie. Le couple s’est fait des amis. Tous les services, pharmacie, supermarché, guichet automatique, sont accessibles à pied. Pas besoin d’user la Toyota Matrix 2014. Il n’y a pas beaucoup d’offres d’emploi dans le coin, mais pour des retraités, ce n’est pas un problème.
Une coopérative offre l’Internet à haute vitesse, ce que n’ont pas d’autres régions plus près des grands centres. Un camelot livre même Le Devoir à leur porte (et au dépanneur du coin).
« Si Montréal nous manque ? Pas vraiment », dit Jean Riopel. De toute façon, ils n’avaient « plus les moyens de vivre en ville ». Ils ont été contraints à l’exil.
Avant de prendre sa retraite, Jean Riopel devait se déplacer en auto, entre autres pour son travail de directeur de funérailles qui l’amenait de Rosemont à Saint-Laurent et à LaSalle. « J’étais tout le temps dans les travaux et dans le trafic. Montréal est une ville étouffée par l’automobile. »
Le « plus gros sacrifice » de leur exil en Beauce a été de s’éloigner de leurs grands enfants, tous dans la trentaine. Deux vivent à Montréal, une autre à Drummondville. Ils ne les voient pas souvent, mais quand ils se voient, ils sont contents.
La vie culturelle leur manque aussi. À part les vaches et les camions chargés de bois de sciage, il n’y a pas beaucoup de spectacles dans les environs de Saint-Zacharie. Le couple a des billets pour Elisapie à Saint-Damien-de-Buckland et pour Marie-Pierre Arthur à L’Anglicane de Lévis.
Curieusement, le bruit représente le plus gros désagrément. Le couple a habité dans les deux rues les plus passantes du village. Les maisons sont collées sur les rues toutes en pente. Les camions lourds font un vacarme en montant et en descendant les côtes. Sans oublier les motoneiges, les motocross, les Harley-Davidson et les VTT qui pétaradent joyeusement.
C’est le plus gros désagrément. Mais ce n’est rien, pour avoir un toit au-dessus de la tête.