Modéré, pragmatique et «ennuyeux»: qui est le nouveau premier ministre britannique?
Au terme d’une campagne électorale menée sans grand coup d’éclat, le chef du Parti travailliste a mis fin à 14 années de règne conservateur. Ses détracteurs lui reprochent son manque de charisme ; ses partisans saluent plutôt le recentrage d’un parti dont il a pris les rênes en 2020. Lui promet le retour du « sérieux » dans la gestion des affaires du royaume. Présentation d’un nouveau premier ministre en mal de popularité.
« Monsieur Ennuyeux », « Mr. Boring » en version originale, le sobriquet a de quoi surprendre pour un chef politique qui vient de mener son parti vers une victoire éclatante et qui s’apprête à faire son entrée au 10, Downing Street.
Pourtant, ce surnom colle à la peau de Keir Starmer, un futur premier ministre loin de faire l’unanimité, y compris dans son propre camp.
Mais comment alors cet avocat de 61 ans a-t-il réussi la prouesse de mettre fin à un règne sans partage du Parti conservateur tout en demeurant largement impopulaire auprès des Britanniques ?
En entrevue au Devoir, Alexander Macleod, professeur en science politique à l’Université du Québec à Montréal et spécialiste du Royaume-Uni, avance une explication.
« C’est un bon avocat mais un piètre orateur, prévient-il. Mais même s’il n’est pas populaire, dans le sens de quelqu’un qui attire les gens par son charisme, c’est un politicien solide. Il est posé, ne s’énerve pas facilement… et a réussi à mettre la main sur le Parti travailliste en excluant son ancien chef, Jeremy Corbyn. C’est une vraie victoire pour lui ! »
Un modéré arrivé sur le tard en politique
Avocat spécialisé dans les droits de la personne, procureur général du Royaume-Uni de 2008 à 2013, Keir Starmer est arrivé tardivement sur la scène politique britannique.
Élu député en 2015, il a pris le contrôle du Parti travailliste en 2020 à la suite de la démission de M. Corbyn en raison de l’échec des travaillistes aux élections générales de 2019.
S’appuyant sur l’aile modérée de sa formation politique, Starmer a repositionné son parti davantage au centre de l’échiquier politique, se coupant de la frange la plus radicale et éliminant toute forme d’antisémitisme en son sein. Il a même fini par exclure Jeremy Corbyn du Parti travailliste, coupable de s’aliéner les électeurs les plus modérés.
« Keir Starmer rassure de nombreux électeurs qui ne votent pas traditionnellement pour les travaillistes, poursuit Alexander Macleod. Même s’il est présenté comme un politicien à la personnalité effacée, les personnalités flamboyantes ne font pas nécessairement les meilleurs chefs. Son côté posé et pragmatique est apprécié et rassure les électeurs modérés. »
En fait, la grande réussite de Keir Starmer est d’avoir su tirer profit du désir de changement des Britanniques après 14 années de pouvoir conservateur.
À défaut de proposer un programme audacieux, il a misé sur la carte de l’alternance politique en se présentant comme un recours acceptable aux conservateurs.
Plus qu’une victoire des travaillistes, sa victoire est donc en premier lieu la défaite des conservateurs, attaqués également à leur droite par le parti de Nigel Farage, Reform UK.
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Critiqué par l’aile gauche de son parti
Originaire du nord de Londres et fan du club de soccer Arsenal, Keir Starmer vient d’un milieu modeste, ce qu’il ne manque pas de mettre en avant pour séduire l’électorat traditionnel du Parti travailliste.
S’il se dit lui-même socialiste, ses détracteurs au sein de la gauche britannique lui reprochent son appartenance à l’élite londonienne plus qu’à la classe moyenne durement touchée par l’inflation et la détérioration des services publics, deux thèmes centraux de cette élection.
Anobli par la reine Élisabeth II en 2014, ce qui lui vaut le titre de Sir, Keir Starmer n’est pas un idéologue et évite les promesses qu’il sait qu’il ne pourra tenir.
À ceux qui critiquent son manque d’idées et de vision durant la campagne, l’intéressé promet le retour du « sérieux », assurant ne pas avoir de « baguette magique » pour les difficultés auxquelles fait face le pays.
D’ailleurs, les Britanniques ne se bercent pas d’illusions. Dans les sondages qui ont accompagné la campagne électorale, ces derniers ne croient pas aux perspectives de changement liées à l’arrivée au pouvoir des travaillistes.
Pas de grands changements à venir
S’il ne faut donc pas s’attendre à de grands bouleversements sur la scène politique britannique, l’un des premiers chantiers de Keir Starmer au 10, Downing Street sera d’annuler l’accord entre Londres et Kigali qui prévoit le transfert des immigrants illégaux interceptés aux frontières du Royaume-Uni vers le Rwanda.
La détérioration des services publics, notamment des services de santé, qui traversent une crise profonde, sera aussi un grand dossier de son début de mandat même s’il ne bénéficie pas d’une grande marge de manoeuvre par rapport à son prédécesseur.
La seule mesure radicale du programme de Starmer : imposer une taxe sur les frais de scolarité dans les enseignements privés afin de réduire la fracture au sein de la population, une mesure applaudie au sein de la classe populaire.
Discret sur les relations avec l’Union européenne
Favorable à l’intégration du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, il ne devrait pas revenir sur le Brexit au cours de son mandat.
D’ailleurs, lui-même l’affirme : de son vivant, il ne croit pas qu’il verra le Royaume-Uni réintégrer l’Union européenne.
Il ne faut donc pas s’attendre à un rapprochement entre Londres et Bruxelles sur le plan institutionnel.
« Il a considéré que ce n’est pas le moment de remettre en question le Brexit afin de ne pas se mettre à dos les travaillistes pro-Brexit, conclut Alexander Macleod. Pourtant, selon tous les sondages, la majorité des Britanniques ne sont pas favorables au Brexit. »