Les polars au coeur des failles du monde

Deux pages tirées de l’essai Noir sur blanc, de Michel Bélair. À gauche, l’auteur italien Andrea Camilleri, à droite, l’auteur québécois Martin Michaud.
Photo: Christian Tiffet Éditions Somme toute Deux pages tirées de l’essai Noir sur blanc, de Michel Bélair. À gauche, l’auteur italien Andrea Camilleri, à droite, l’auteur québécois Martin Michaud.

Une bonne intrigue, une écriture hors du commun et une réflexion sur le sort du monde : voilà les ingrédients d’un polar réussi, selon le collaborateur du Devoir Michel Bélair. Amoureux de ce genre littéraire qui expose les failles humaines et sociales, il a publié récemment Noir sur blanc, un essai qui dresse le portrait de 20 auteurs majeurs de romans policiers.

Devenu critique de polars au début des années 2000 au Devoir, Michel Bélair a pris sa retraite du quotidien montréalais en 2012, tout en continuant d’y collaborer régulièrement par la suite. Dans son livre paru en mai, il plonge dans l’univers noir d’écrivains qui sont, selon lui, parmi les plus importants de ce genre littéraire.

Dans son essai, on retrouve entre autres la Française Fred Vargas, le Suédois Henning Mankell et l’Américain James Lee Burke. « Ces auteurs sont des gens qui savent témoigner du quotidien, ainsi que du monde dans lequel on vit et des déchirements qui l’habitent à tous les niveaux », estime-t-il.

Contrairement à ce que de non-initiés pourraient croire, les intrigues de plusieurs romans policiers vont au-delà des poursuites automobiles et des taches de sang, soulève-t-il. « Que l’on pense à la crise des migrants, à la crise du logement ou aux inégalités sociales, tout ça existe dans les polars. »

Au fil des pages illustrées par Christian Tiffet, Michel Bélair démontre d’ailleurs que certains auteurs ont été avant-gardistes. Ils ont abordé des questions épineuses avant qu’elles ne soient sur toutes les lèvres, affirme-t-il. Le romancier italien Andrea Camilleri, qui a donné vie au commissaire Montalbano, a notamment mis en scène des migrants se heurtant aux portes de l’Europe dans certains de ses livres du début des années 2000. « Il y a des gens qui viennent tout juste de prendre conscience de ce phénomène. Le polar, lui, parle de ça depuis très longtemps. »

En explorant ces réalités complexes, certains romans policiers ont le pouvoir de rendre les lecteurs plus empathiques, estime-t-il. « Ces écrivains savent nous impliquer personnellement dans leurs intrigues. Les personnages sont aux prises avec des problèmes auxquels on est tous confrontés. »

Monde extrême, détectives excessifs

Dans les polars, il n’est pas rare de retrouver des enquêteurs au comportement imprévisible qui ont un fort penchant pour la bouteille. On n’a qu’à penser à Harry Hole, célèbre inspecteur de police créé par l’auteur norvégien Jo Nesbø. « Il porte bien son nom. C’est un trou noir ambulant et un personnage fabuleux qui se situe aux extrêmes », soutient Michel Bélair.

Selon lui, la présence de héros excessifs dans plusieurs polars s’explique par le fait que les intrigues de ces livres sont campées en période de crise. « Ça met en relief les extrêmes », avance-t-il.

Tous les enquêteurs de romans policiers ne se situent pas aux extrêmes, nuance-t-il. « Le Kurt Wallander d’Henning Mankell, par exemple, est un monsieur comme tout le monde qui est déchiré par le doute et qui remet toujours tout en question. »

Plusieurs enquêteurs ont aussi la particularité d’avoir été au coeur de grands moments historiques, comme la guerre du Vietnam. C’est le cas du vétéran Walt Longmire, personnage créé par l’auteur américain Craig Johnson. « Certains héros ont vécu les conflits imposés par leurs dirigeants et ont été profondément marqués par ça. La plupart d’entre eux en ressortent déchirés, mais plusieurs sont quand même équilibrés », estime Michel Bélair.

Photo: Michel Bélair Le journaliste et critique Michel Bélair

À travers les polars, certains écrivains décident d’explorer une période de l’Histoire qui les fascine, poursuit-il. L’auteur écossais Philip Kerr, par exemple, a campé ses intrigues notamment dans l’Allemagne nazie. « Germanophile, il n’a jamais compris pourquoi tout à coup les Allemands ont viré de bord et se sont épris d’un personnage comme Hitler. Toute son oeuvre essaie de rendre compte de ça et de l’expliquer », soulève-t-il.

Et au Québec ?

Comme ailleurs, les polars suscitent un réel engouement au Québec depuis un moment, estime Michel Bélair. De plus en plus de romanciers d’ici se consacrent d’ailleurs aux intrigues policières, observe-t-il. « On pourrait facilement penser à une dizaine d’écrivains québécois qui sont vraiment très bons dans ce genre littéraire. »

Du lot, on compte notamment la « doyenne », Chrystine Brouillet, relève-t-il. En novembre dernier, elle a publié Le mois des morts, la vingt et unième enquête de Maud Graham, son héroïne fétiche. D’autres auteurs au Québec sont incontournables, comme Louise Penny, Martin Michaud ou Jean-Jacques Pelletier, ajoute-t-il.

Intarissable au sujet des romans policiers d’ici et d’ailleurs, Michel Bélair songe à faire une suite de son essai Noir sur blanc. Il pourrait ainsi y présenter des écrivains phares qu’il a dû délaisser dans son livre publié en mai. « Je pense entre autres aux Américains Michael Connelly, James Ellroy et Donald E. Westlake », énumère-t-il.

« Les grands auteurs de polars, ils nous remuent complètement, affirme-t-il. Ce n’est pas seulement la question de “qui a tué qui” qu’on retrouve dans leurs livres. C’est beaucoup plus toute l’enquête qui est faite et qui vise d’abord à élucider comment ça s’est passé et comment ça se fait qu’on s’est rendu là. »

Noir sur blanc

Michel Bélair, Somme toute, Montréal, 2024, 112 pages

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