Les déclarations de Pierre Poilievre à l’épreuve des faits

Le chef conservateur Pierre Poilievre était mercredi soir dans la circonscription de Mont-Royal pour présenter son candidat aux prochaines élections.
Photo: Christinne Muschi La Presse canadienne Le chef conservateur Pierre Poilievre était mercredi soir dans la circonscription de Mont-Royal pour présenter son candidat aux prochaines élections.

Pierre Poilievre se plaît à répéter que la mairesse Valérie Plante a bloqué la construction de 25 000 logements à Montréal depuis son arrivée au pouvoir en 2017. Le chef conservateur l’a encore dit mercredi soir, lorsqu’il était dans la circonscription de Mont-Royal pour présenter son candidat aux prochaines élections.

Mais qu’en est-il ? L’administration de Valérie Plante a-t-elle vraiment empêché la construction d’autant de logements ?

Pour appuyer ses déclarations, le chef conservateur s’est inspiré d’une étude de l’Institut économique de Montréal (IEDM), publiée en juin 2023, qui soutenait que, depuis 2017, quelque 25 000 logements n’avaient pu être construits par la faute de la Ville. Parmi les projets visés, la tour 6 du Square Children’s, les projets de Bridge-Bonaventure ou le site de Namur-Hippodrome.

« Sans exonérer les municipalités de toute responsabilité dans la crise du logement, je suis assez étonné, depuis un an, de voir l’acharnement avec lequel on tente de faire passer les villes pour les principales responsables de la crise du logement. Je pense que c’est aller un peu vite en affaires, si ce n’est pas carrément injuste », dit Louis Gaudreau, professeur à l’École de travail social de l’UQAM.

Depuis un ou deux ans, il y a un ralentissement dans la construction au Québec, admet-il, mais, selon lui, la crise du logement ne peut être attribuée à ce ralentissement ou aux règles en vigueur, mais plutôt à une hausse constante dans le coût de l’habitation.

« Je pense que les villes ne peuvent pas être tenues pour seules responsables de la hausse des coûts de l’habitation parce que ce serait faire fi du fait qu’il y a de la spéculation et qu’il y a une obstruction systématique de la part de l’industrie immobilière face à toute tentative de la contraindre ou de l’inciter à faire du logement abordable », soutient M. Gaudreau.

Il cite le cas du secteur Namur-Hippodrome. L’appel d’offres lancé en 2022 par l’administration pour l’achat d’un lot pour un projet immobilier qui aurait inclus 60 % de logements abordables n’a trouvé aucun preneur. « L’industrie a boycotté cet appel d’offres là, dit-il. Il y a peut-être des choses que la Ville aurait pu mieux faire. Mais elle a aussi essayé de mettre des mesures en place, et c’est le secteur privé qui s’y est opposé. »

Il rappelle aussi que la Ville n’a pas les moyens financiers pour investir à la hauteur des besoins et qu’elle doit se fier aux investissements des autres ordres de gouvernement.

De son côté, Adam Mongrain, directeur des dossiers en habitation de Vivre en ville, estime aussi que le chef conservateur a tort d’omettre les coûts croissants de construction. « La réalité, c’est que les coûts de construction au Québec — pas seulement à Montréal — sont tellement élevés que les promoteurs ont beaucoup de mal à dégager une marge de profit », dit-il.

L’environnement réglementaire dont parle Pierre Poilievre n’est qu’un élément parmi d’autres dont il faut tenir compte. Mais même en matière réglementaire, plusieurs pans échappent au pouvoir de la Ville, dont le Code du bâtiment, ajoute-t-il. « Le Canada a la réglementation la plus restrictive du monde entier quant aux exigences d’une deuxième sortie [dans les bâtiments]. Ça induit énormément de surcoûts », explique M. Mongrain en évoquant les aires de circulation, les escaliers et autres exigences associées à ces règles. « Ça peut représenter de 15 % à 20 % du coût total de construction juste en matériaux. C’est quelque chose qui va attaquer directement la viabilité des projets des constructeurs. Mais la Ville de Montréal ne contrôle pas directement le Code du bâtiment. »

La technologie pourrait faciliter l’octroi des permis, selon lui. À titre d’exemple, Singapour dispose d’un système de vérification automatique des plans 3D qui examine la conformité de ceux-ci aux exigences de zonage. « En l’espace de quatre heures, on a un feu vert ou un feu rouge. Mais ici, ça peut prendre des mois et des mois pour comparer des plans en PDF entre les services municipaux et les promoteurs. C’est une tonne de temps perdu. »

Et ce n’est pas parce que le zonage permet la construction de logements que ceux-ci vont être construits, car il faut tenir compte des coûts élevés, signale-t-il.

Le responsable de l’habitation au comité exécutif de la Ville de Montréal, Benoit Dorais, estime que les données évoquées par Pierre Poilievre manquent de nuances. Dans le cadre du site Namur-Hippodrome, par exemple, les délais sont plus longs que prévu, mais les efforts de planification permettront à 20 000 logements de voir le jour, dont 10 000 seront abordables. « Donc, ça valait la peine. On arrive à 50 % des 20 000. C’est même plus haut [que prévu] », fait valoir l’élu.

« M. Poilievre personnalise le débat en disant que Mme Plante bloque des projets, alors qu’il y a plusieurs arrondissements impliqués, dont ceux de l’opposition officielle », souligne aussi M. Dorais.

La Ville n’est pas sans reproches, mais Benoit Dorais rappelle que, le mois dernier, la mairesse a pris l’engagement d’accélérer les processus de traitement des projets immobiliers afin de limiter à 120 jours les délais de délivrance des permis de construction dans la métropole pour les projets de plein droit à compter de 2025. Et le Plan d’urbanisme et de mobilité présenté la semaine dernière permettra de modifier les densités autorisées de manière à réduire le recours aux dérogations, puisque cela allonge les délais, croit l’administration Plante.

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