Enseignement ludique (ou le plaisir d’apprendre)
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Enseignement ludique. Deux mots qui, à première vue, semblent contradictoires. Le premier évoque l’apprentissage, la rigueur, le travail et l’effort. Le deuxième évoque le plaisir, le jeu. Et si l’apprentissage pouvait être une source de plaisir, de bonheur et d’agrément ?
Il faut remonter à la petite enfance pour comprendre l’importance et le rôle du jeu. Le jeu est le principal outil par lequel l’enfant apprend. En jouant, il découvre le monde qui l’entoure et acquiert la maîtrise de certains éléments de son environnement. Il est donc normal de penser intégrer le jeu dans l’apprentissage, et ce, peu importe le niveau d’enseignement.
Cependant, en raison de notre passé en matière d’éducation où les communautés religieuses avaient la mainmise sur les programmes, il n’est donc pas évident de démocratiser l’enseignement. Il faudra attendre le rapport Parent, dans les années 1960, pour rendre l’État responsable de l’éducation.
On assiste alors à un grand mouvement de déconfessionnalisation ou de laïcisation dans le monde de l’enseignement. On constate alors une ouverture d’esprit un peu timide de la part des enseignants et des directions.
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Ce texte est publié via notre section Perspectives.
Le goût d’apprendre
Je me rappelle deux activités originales lors de mes cinq années de secondaire. La première, en physique, où notre enseignant nous faisait sortir de la classe par petits groupes de dix étudiants dans le corridor pour nous montrer à quoi ressemblait une onde qui se déplaçait à l’aide d’un long ressort de dix mètres. La deuxième, en anglais, où l’enseignante nous faisait écouter la chanson Hotel California dans laquelle nous devions compléter les paroles dans une dictée trouée.
Pour la première fois, mes enseignants faisaient des activités originales et ludiques qui avaient du sens pour moi, et qui me donnaient encore plus le goût d’assister à ces cours. Je trouvais ces enseignants très stimulants et originaux, ils me donnaient le goût d’apprendre et de me dépasser tout en ayant du plaisir.
Lors de mes formations universitaires en enseignement, nous devions dans certains cours créer des activités originales et les présenter sous forme d’exposés oraux. Je m’intéressais beaucoup à la situation du rendement des garçons à l’école, du taux de décrochage et de leur motivation. J’ai donc décidé d’introduire des jeux et des questionnaires qui portaient sur les sports.
Je me souviens de mon premier jeu réalisé en mathématiques, dans lequel j’avais recréé un terrain de baseball (lorsque les Expos étaient populaires !) avec deux équipes, où chaque question, avec différents degrés de difficulté, permettait de faire avancer ses joueurs, si les réponses étaient bonnes, d’un but, de deux, de trois et même d’un coup de circuit ! J’ai eu la chance d’expérimenter différents jeux lors de mes stages pour constater qu’ils étaient très populaires.
Réforme
Puis arrive, vers la fin des années 1990, la réforme scolaire qui a pour objectif de recentrer l’école sur sa mission première qui est d’instruire, de socialiser et de qualifier les jeunes.
Pour cela, il faut revoir les programmes d’études de façon à revenir aux savoirs essentiels, à rehausser le niveau culturel des programmes et à éviter de compartimenter le savoir. L’enseignement est passé de « l’enseignant au centre de la classe » à « l’élève au coeur de son apprentissage ». Ce nouveau paradigme redéfinit l’enseignement, voit l’élève comme un tout dans lequel on développe des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être.
Fini le temps où l’enseignant se contentait de transmettre uniquement des connaissances. Il faut maintenant mettre en oeuvre et animer des situations d’enseignement et d’apprentissage signifiantes, en prenant en compte la diversité des élèves, organiser et assurer un mode de fonctionnement du groupe favorisant l’apprentissage et la socialisation des élèves, faire de la différenciation pédagogique, faire développer des compétences.
Vous comprendrez qu’en raison de la constitution de la « nouvelle » classe, dans laquelle on retrouve des élèves qui ont des besoins particuliers, des élèves avec des plans d’intervention, des élèves avec un déficit d’attention…, cette tâche devient de plus en plus complexe. Elle fut d’ailleurs au centre de l’une des principales revendications lors des manifestations et grèves des enseignants.
Dans ce contexte, je crois que l’enseignement doit revenir à sa base et permettre à l’élève, et à l’enseignant, d’avoir du plaisir. Cela implique un enseignant passionné par sa matière et qui possède une autonomie pédagogique. Le jeu devient à ce moment une occasion de transmettre des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être.
Stimuler
Historiquement, le jeu a toujours suscité un intérêt. On pense à Martin Gardner, qui a été connu pour la création et le maintien de l’intérêt pour les mathématiques récréatives. Les mathématiciens ne sont-ils pas les premiers à jouer avec des chiffres, des cartes, des dés, des énigmes en tous genres ? Car jouer, c’est presque toujours rencontrer et pratiquer des mathématiques.
Il faut également prendre en considération la génération des réseaux sociaux, des jeux en ligne, dans laquelle grandissent nos enfants. Ceux-ci passent beaucoup de temps devant des écrans, et les interfaces changent rapidement. Il devient difficile pour des enfants de se concentrer plusieurs minutes sur une tâche puisqu’ils sont habitués à changer rapidement d’interface lorsqu’ils ne sont plus stimulés.
Le jeu en classe permet de maintenir un niveau d’intérêt plus élevé, de créer des liens (pour les jeux en équipes) et d’apprendre en s’amusant. Pensez aux formations que vous avez déjà reçues dans vos milieux de travail. Je suis convaincu que vous vous souvenez de celles où l’animateur était dynamique, utilisait de l’humour et faisait faire des activités originales et ludiques.
Je constate le même effet dans mon milieu de travail. Je pense à l’enseignante de mathématiques de 5e secondaire qui fait dessiner des autoportraits aux élèves à l’aide de formules mathématiques en utilisant un logiciel, à l’enseignante de français de 3e secondaire qui fait écouter et analyser des textes d’un groupe de rap québécois, pour ensuite aller le voir en spectacle durant les cours, à l’enseignant de mathématiques de 4e secondaire qui fait mesurer la hauteur de l’école à l’aide de concepts mathématiques appris avec un théodolite fait maison et à l’enseignant de physique qui fait construire des ponts en petits bâtons de bois pour ensuite tester leur résistance avec des charges très élevées, le tout à la cafétéria devant une foule impressionnante.
Batman
De mon côté, j’utilise beaucoup de jeux de révision qui impliquent les sports (avec le Super Bowl en février et la Coupe Stanley en mai et juin), la musique, les thèmes de fêtes comme l’Halloween, Noël, la Saint-Valentin, etc. Mon activité Batman consiste à installer une corde qui traverse la classe de haut en bas, en diagonale, à laquelle est attaché un Batman sur une poulie ; les élèves doivent calculer le temps que Batman prendra pour se rendre jusqu’à un monstre qui est situé à l’autre extrémité de la classe.
Inutile de dire le grand intérêt soulevé à la fin du cours lorsque je déploie Batman sur sa poulie pour le regarder traverser la classe et calculer le temps réel qu’il prend pour atteindre le monstre ! Mon jeu final en juin consiste, pour les élèves, à accumuler des livres de mathématiques au sol, à chaque bonne réponse, et de voir le prof sauter par-dessus ces livres en planche à roulettes à la fin du cours (heureusement, j’ai déjà fait de la compétition de skateboard à mon adolescence !).
Toutes ces activités, ces jeux et ces situations originales permettent d’apprendre tout en s’amusant et de créer des liens avec les élèves. Il est important, cependant, de comprendre que ces activités doivent être réalisées avec parcimonie et doivent venir en complément à la matière vue.
Je crois que la réussite réside dans l’équilibre des différentes stratégies d’enseignement, entre le magistral, le travail en équipe, les activités, les exercices, les devoirs et les exposés. Cela permet aux élèves de se développer selon des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être afin d’être capables de bien réussir dans un milieu stimulant et de relever les défis de leur génération en devenant de bons citoyens accomplis et épanouis.
Des suggestions ? Écrivez à Dave Noël : dnoel@ledevoir.com.