L’«enseignement efficace», utile, mais pas une recette magique
Le 6 juin 2023, Steve Bissonnette et Mario Richard se sont présentés à l’Assemblée nationale pour livrer leurs commentaires sur le projet de loi 23, la réforme du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. Ils ont vanté les bienfaits de « l’enseignement efficace » et du soutien au comportement positif (SCP), forts de leurs décennies d’expérience dans le milieu scolaire.
« Est-ce que l’enseignement efficace est enseigné dans les facultés d’éducation en ce moment ? » leur a demandé Bernard Drainville. « Très peu », a répondu Steve Bissonnette.
Le Devoir a communiqué avec les facultés d’éducation des universités Laval, de Sherbrooke, de Montréal et du Québec à Montréal. Elles ont toutes assuré que l’enseignement efficace fait partie des sujets abordés dans le baccalauréat en éducation. Mais elles soulignent les limites de cette approche.
La doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, Ahlem Ammar, lance une mise en garde au sujet des « recettes préfaites ». « Il y a beaucoup de collègues qui ont beaucoup de réactions [face] au courant des pratiques efficaces, qui parle d’efficacité absolue. On ne peut pas dire que la même pratique peut fonctionner dans tous les contextes. Ce n’est pas possible », avise-t-elle.
« Ce qui ne fait pas consensus, c’est de penser qu’il y a une méthode unique pour enseigner et que ça va fonctionner pour tous les enfants », affirme aussi Christine Hamel, vice-doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval.
À l’Université de Sherbrooke, la professeure Sabrina Moisan dit constater une « résistance aux recettes faciles pour régler des problèmes complexes ». Résultat : « chaque méthode qui est présentée à l’université vient avec sa critique ». Éric Dion, du Département d’éducation de l’Université du Québec à Montréal, voit que l’enseignement efficace est plus ou moins ancré selon les domaines enseignés, du décodage des mots (où c’est « super bien intégré ») aux mathématiques (où il y a de la « résistance »).
Miser sur la découverte ou sur l’efficacité ?
Mais qu’est-ce que c’est, l’enseignement efficace ? « C’est de l’enseignement qui mise sur des explications claires, qui va aborder les notions du plus simple vers le plus complexe, et il y a souvent une mise en application qui est intégrée », explique le professeur Dion.
M. Bissonnette, lui, divise l’enseignement efficace en trois catégories : le « quoi enseigner », le « comment enseigner » et la « gestion des comportements », dont fait partie le soutien au comportement positif.
Le SCP a retenu l’attention du Comité sur les résultats scientifiques et le milieu scolaire, le CRSMS, un groupe confidentiel créé par le ministère de l’Éducation pour produire des avis sur le réseau scolaire. Dans une recommandation sur « la gestion de classe et les troubles de comportement extériorisés », il a suggéré que « le ministère soit le maître d’oeuvre de l’implantation du SCP ».
La réforme Drainville accorde un droit de regard au ministre de l’Éducation sur la formation continue des enseignants. Lors du passage de M. Bissonnette à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Éducation lui a demandé si le SCP pourrait devenir une formation continue. « Tout à fait », a répondu le professeur.
À l’opposé de « l’enseignement efficace » se trouve l’approche socioconstructiviste, axée sur la découverte et l’acquisition de compétences. Celle-ci a de sérieuses limites, selon M. Bissonnette. « Un élève en difficulté, quand on le met en découverte, il découvre qu’il est incapable. C’est ça qu’il découvre », lance-t-il.
La TELUQ offre un programme court de deuxième cycle en « efficacité de l’enseignement et des écoles », souligne M. Richard. Le premier cours, qui aborde les fondements et pratiques en « enseignement efficace », « est une adaptation d’une formation continue développée par le Groupe Proxima que mon collègue Bissonnette et moi-même avons offerte en tant que consultants avant d’être professeurs à l’université », écrit-il.