Encore un effort…
Et si la décision d’Émilise Lessard-Therrien, annoncée le 29 avril, de démissionner de son poste de co-porte-parole féminine de Québec solidaire n’était que l’arbre qui cache la forêt ? La même vieille forêt, je veux dire, celle qui fait de l’ombre aux femmes en politique — et ailleurs — depuis longtemps.
Je ne connais pas personnellement la démissionnaire de 32 ans. Je n’ai aucune idée de comment se passe la gouvernance à l’intérieur de QS, comme au sein des autres partis politiques québécois d’ailleurs. Je ne suis ni analyste ni correspondante parlementaire. C’est plutôt à titre de citoyenne que je m’exprime, en tentant de soulever des questions quant à la place que trouvent les femmes en politique en 2024. Considérant cette démission, celle d’autres politiciennes qui ont jeté l’éponge en cours de mandat ; entre leurs engagements, leur volonté de changer les choses et leur vie personnelle, y compris la maternité, la sempiternelle charge mentale et, très souvent, le poids de la culpabilité de ne pas être adéquate nulle part au final, je me demande comment c’est possible de tenir le coup semaine après semaine ? Existe-t-il une conciliation entre la politique active et la famille, l’équilibre en somme ? À mon sens, ça devrait faire partie des priorités du temps. « Puis, à un moment, je suis rentrée à la maison et il y en avait plein de sens là, assise à la table de la cuisine, Flora qui bricolait dans le soleil. […] J’ai eu tellement soif de cette douceur, tellement soif de cette lumière. Je n’arrivais plus à justifier la raison pour laquelle j’étais tout le temps partie », a écrit sur ses réseaux sociaux celle qui a donné naissance à son second enfant en 2020.
C’est entre autres ce passage qui a retenu mon attention, au-delà du reste peut-être. Le reste passera au fil des réalignements électoraux… Pas ce nerf de la guerre. Après, on se demande pourquoi il est si difficile de recruter des plus jeunes en politique — surtout des femmes, on va se le dire franchement —, et de les garder à long terme, et en santé. Je ne vois pas comment c’est envisageable dans le système actuel de rester à flot, de façon toujours plus accélérée, en répondant toujours aux attentes de tout un chacun. À moins peut-être de faire partie des privilégiées, d’avoir de l’aide extérieure, un coparent hyperinvesti qui a du temps, beaucoup de temps pour combler les absences de celle qui part au front 7 jours sur 7. Sinon, qui peut se targuer d’avoir tout ça ? Si, en plus, on essuie des remarques misogynes en ligne, qu’on ravale un sentiment d’immobilisme, je comprends la débandade.
Bien sûr, il y aura toujours des contre-exemples de celles qui ont réussi d’hier à aujourd’hui. Avec ou sans progéniture. J’imagine qu’elles ont une sacrée armure, conjuguée à une énergie volcanique. J’aimerais connaître leur recette. Or, si se dévouer entièrement à ses convictions, quitte à s’oublier, c’est réalisable, se priver de ses enfants, du temps de qualité, le temps d’un mandat, c’est une autre histoire. Ça fait partie des concessions à faire en prenant part à la politique active ? Dans une société dite progressiste ? Vraiment ?
« On ne nomme jamais le sacrifice des mères », répondait la chroniqueuse Josée Blanchette à un de mes commentaires allant en ce sens sous son partage Facebook de ladite annonce de Lessard-Therrien. « Toutes les sources d’inégalité que l’on peine à combattre laissent penser qu’il faudra encore bien du temps pour les éradiquer. Surtout si l’on n’en fait pas un objet de combat collectif. Les femmes peuvent s’en plaindre entre elles, mais n’osent pas le faire publiquement, comme si la société n’était pas prête à les entendre. […] Telles sont les conséquences des reliquats du patriarcat », souligne pour sa part la philosophe Élisabeth Badinter dans Messieurs, encore un effort… (Flammarion-Plon), son plus récent essai, dans lequel l’octogénaire s’interroge sur la maternité, qui n’est pas assez « partagée » entre mères et pères. On peut être d’accord ou pas sur ce thème, mais on peut difficilement ne pas le mettre en relief dans le manque d’engagement des plus jeunes générations en politique.
Comme électrice, je cherche à m’identifier à des profils qui me correspondent ; pouvant saisir la teneur de ma réalité et celui de ma famille. Faute de me sentir représentée, j’ai du mal à garder la foi en nos élus. Je ne crois pas être seule dans mon clan. À cause d’un système politique mal adapté aux réalités actuelles et encore tissé de quelques ficelles rétrogrades, nous sommes peut-être en train de passer à côté de sacrées bonnes politiciennes. Je ne crois pas que nous en ayons les moyens. Cette « crise » et les prochaines élections provinciales devraient être l’occasion de remettre quelques pendules à l’heure sur la place qu’on veut réellement faire aux femmes en politique en 2024. Au-delà de la quête de parité que les partis prétendent poursuivre. Pour moi, aux urnes, ça comptera bien avant le reste…