«Émergence insoumise», manifeste pour la crédibilité des femmes autochtones
Dans l’essai Émergence insoumise, l’autrice anichinabée et attikamek Cyndy Wylde déplore le peu de crédibilité accordé aux femmes autochtones dans l’espace public, plus de trois ans et demi après la mort de Joyce Echaquan.
Le fait de ne pas croire ni écouter ces femmes peut avoir des « conséquences tragiques », soutient l’écrivaine. « On a remis la parole de Joyce en doute », rappelle-t-elle, au sujet de cette mère attikamek ayant succombé à un oedème pulmonaire en 2020, sous les insultes racistes du personnel soignant de Joliette. « On a essayé de lui coller l’étiquette de toxicomane », ce qui fait qu’elle n’a pas été prise au sérieux, ajoute-t-elle, en entrevue avec Le Devoir pour son premier livre paru fin avril.
Peu après cet événement, l’autrice originaire de Pikogan, en Abitibi-Témiscamingue, raconte avoir décidé de reporter une opération chirurgicale qu’elle devait subir, de peur de recevoir de mauvais traitements. « C’était dans le temps de la COVID-19 et on ne pouvait pas être accompagné. Étant donné que je devais être anesthésiée, c’était hors de question que je me présente seule dans un hôpital », relate celle qui est professeure à l’École de travail social de l’Université d’Ottawa depuis 2021.
Selon Cyndy Wylde, les effets du manque de crédibilité dont souffrent les femmes autochtones sont nombreux. « Je suis une citoyenne engagée, je participe à une réflexion collective au niveau universitaire en travail social, poursuit-elle. Alors, je me demande ce qu’il faut pour que j’arrête de me faire ramasser quand, par exemple, j’émets une opinion sur le réseau social X ? »
Sans avoir fait de recherches empiriques sur ce sujet, elle avance que ce phénomène découle de « tout ce qui a été véhiculé depuis le début de la colonisation pour [les] déshumaniser ».
La société est toutefois en train de prendre un peu plus conscience des réalités autochtones, estime la mère de deux jeunes femmes. Il reste cependant bien du chemin à faire, ajoute-t-elle.
Prisons et femmes autochtones
Encore aujourd’hui, il est trop peu question de la surreprésentation des femmes autochtones en milieu carcéral, affirme celle qui a travaillé 25 ans auprès de Service correctionnel Canada. « À l’heure où je rédige ces lignes, une réalité persiste : une femme sur deux derrière les barreaux des pénitenciers de notre beau pays est une femme autochtone », souligne-t-elle, dans son livre.
« Si je pouvais prendre le micro comme Céline Dion et chanter pour dénoncer cette situation-là, je le ferais. Malheureusement, je n’ai pas ce talent-là », affirme-t-elle, en entrevue.
On a remis la parole de Joyce en doute. On a essayé de lui coller l’étiquette de toxicomane.
Elle a donc choisi de parler de cet « enjeu tragique » dans les pages de son essai, en plus d’en faire son sujet de thèse de doctorat, dont le dépôt initial a été fait il y a un mois. « Ce n’est pas parce qu’on est autochtone qu’on est criminel. Ça ne fonctionne pas. Juste ça, ça devrait être la grosse lumière jaune de warning. Mais on dirait qu’il est difficile d’émouvoir les gens quand il est question du sort des femmes autochtones. »
Plus de six ans après avoir pris sa retraite des services correctionnels, Cyndy Wylde dénonce « l’idéologie punitive » qui y règne. « On [y] applique systématiquement un paquet de politiques et de règles, sans se demander si c’est correct, si ça correspond à telle ou telle population carcérale et même si, minimalement, c’est humain comme traitement. On parle de décolonisation à la grandeur du pays, mais que fait-on des prisons et des pénitenciers ? »
Toujours « insoumise »
Au fil des années, l’autrice rapporte avoir vu de nombreuses « injustices » en travaillant au sein des prisons. Elle raconte en avoir aussi vécu dans sa vie personnelle, notamment lorsqu’elle étudiait au cégep, au début des années 1990.
Enthousiaste à l’idée de discuter des réalités autochtones avec les étudiants et les professeurs, Cyndy Wylde avait installé un kiosque d’un jour dans l’établissement qu’elle fréquentait. Or, personne ne s’y est présenté. « Ça m’a scié les jambes. Ça a été une situation traumatisante pour moi. »
« Je ne serais toutefois pas celle que je suis maintenant si je n’avais pas vécu ça », précise-t-elle, en indiquant que cette expérience fait partie de celles qui l’ont encouragée plus tard à faire entendre sa voix.
À l’heure actuelle, elle se réjouit de voir de jeunes femmes autochtones donner des conférences et s’exprimer par l’entremise de blogues. « Je trouve ça beau qu’elles osent enfin affirmer quelque chose et prendre la parole, sans avoir peur de l’écrasement légendaire auquel on a toujours fait face. »
Cyndy Wylde soutient d’ailleurs qu’elle descend d’une lignée d’aïeules déterminées qui ont su se tenir debout pour elles et les autres. « L’insoumission est quelque chose qui nous caractérise à travers les générations. Et une chance », confie-t-elle.