En tête au premier tour des législatives, l’extrême droite française est «aux portes du pouvoir»

Marine Le Pen, leader de l’extrême droite française, arrive au siège du parti Rassemblement national, lundi 1er juillet 2024 à Paris, au lendemain du premier des élections législatives, à l’issue duquel son parti est arrivé en tête.
Photo: Julien De Rosa Agence France-Presse Marine Le Pen, leader de l’extrême droite française, arrive au siège du parti Rassemblement national, lundi 1er juillet 2024 à Paris, au lendemain du premier des élections législatives, à l’issue duquel son parti est arrivé en tête.

Le Rassemblement national (RN) de Jordan Bardella et Marine Le Pen est arrivé largement en tête au premier tour des élections législatives en France, dimanche. Une confirmation que le parti d’extrême droite devient « le premier parti politique de France », estime un expert.

Avec 33,2 à 33,5 % des suffrages, le RN et ses alliés ont devancé la coalition de gauche du Nouveau Front populaire (NFP), qui a obtenu 28,1 à 28,5 %, loin devant le camp du président Emmanuel Macron, à 21 à 22,1 %, lors de ce vote marqué par une forte participation.

« Le sentiment qu’on a en France, ce soir, c’est […] qu’il y a un vrai élan du Rassemblement national », commente sur place le chercheur en études stratégiques et diplomatiques à la Chaire Raoul-Dandurand Julien Tourreille.

Les Français « ont rendu un verdict sans appel », s’est réjoui dimanche soir Jordan Bardella, 28 ans, qui se rapproche vraisemblablement de Matignon, siège du premier ministre.

« Il nous faut une majorité absolue », a lancé de son côté Marine Le Pen, annonçant sa propre élection comme députée dès le premier tour dans son fief d’Hénin-Beaumont.

Ce score, le meilleur au premier tour d’un scrutin pour le RN, dans le sillage des européennes, devrait inciter le parti et ses dirigeants à « asseoir leur légitimité comme aspirant à gouverner » d’ici le second tour des législatives, le 7 juillet, croit Julien Tourreille.

« Pour le RN, la campagne qui commence au second tour, c’est d’essayer de convaincre de leur donner la chance d’exercer le pouvoir en ayant une majorité absolue à l’Assemblée nationale », soit 289 sièges, explique le chercheur.

Le Nouveau Front populaire comme alternative

L’avance de l’extrême droite poussera maintenant le NFP, arrivé en deuxième place, à se présenter comme la véritable alternative crédible au RN, relève Julien Tourreille.

Au terme du premier tour, où d’ordinaire « on choisit », pour ensuite « éliminer » au second, les résultats laissent ici entrevoir un nombre record de triangulaires potentielles. Dans de nombreuses circonscriptions, trois candidats ont en effet obtenu le vote d’au moins 12,5 % des électeurs inscrits, ce qui les rend admissibles au second tour.

Dans ces cas-là, les candidats arrivés deuxièmes pourraient essayer d’obtenir le désistement de celui en troisième position « pour éventuellement espérer [finir] premier au second tour », explique M. Tourreille.

« Là, l’enjeux, ça va être de voir qui va se maintenir ou qui va se désister », dit Julien Robin, doctorant en science politique à l’Université de Montréal.

« La gauche va être vraiment prise en sandwich entre une certaine éthique de responsabilité, d’une part, et une vraie stratégie de gagner des sièges, d’autre part », poursuit-il.

À gauche, écologistes, socialistes et communistes ont annoncé qu’ils se retireraient si un autre candidat était mieux placé pour faire barrage au RN.

Le chef de file de La France insoumise (LFI), parti dominant dans le NFP, Jean-Luc Mélenchon, a aussi annoncé le retrait des candidats de gauche arrivés en troisième position dimanche si le RN est en position de l’emporter dans une circonscription.

Le parti de droite conservateur Les Républicains (LR), qui a obtenu environ 10 % des suffrages, s’est refusé pour sa part à appeler ses électeurs à voter contre le RN dimanche prochain.

Julien Tourreille mentionne qu’il s’agira d’un calcul qui se fera presque circonscription par circonscription : « Dans les prochaines minutes, les prochaines heures et les premiers jours de la semaine, ça va être [de voir] ce qu’on fait avec ça ».

Incertitudes quant au « front républicain »

Dimanche, Emmanuel Macron, a appelé à « un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour » afin de faire face au RN. Le président français n’a pas pour autant clarifié l’attitude à suivre en cas de duels entre le RN et le NFP ou de triangulaires.

« L’extrême droite est aux portes du pouvoir », a alerté de son côté le premier ministre Gabriel Attal, appelant à « empêcher le Rassemblement national d’avoir une majorité absolue ».

Photo: Yara Nardi Agence France-Presse Le président français Emmanuel Macron a voté dimanche matin au Touquet, dans le nord-ouest de la France

Pour Julien Tourreille, cette union contre le RN est incertaine, notamment en raison du fossé entre les programmes politiques des partis de la coalition, ainsi que de la « détestation viscérale » que certains membres cultivent entre eux.

La « figure ultra-polarisante » de Jean-Luc Mélenchon nuirait également à l’image du NFP, selon M. Tourreille : le leader de LFI serait tellement détesté, même au sein de l’électorat socialiste, que le RN essayerait de convaincre les gens de les choisir au détriment de NFP sous prétexte que le parti d’extrême droite ne compte pas Mélenchon dans ses rangs.

« Le plus simple pour le front anti-RN, ça aurait été, où ce serait encore – ils ont encore le temps – d’écarter Jean-Luc Mélenchon complètement », juge Julien Tourreille, qui soulève l’option pour le NFP de proposer d’autres candidats « plus consensuels ».

S’il advenait que le barrage du NFP fonctionne, une majorité d’appuis à Mélenchon à l’Assemblée nationale serait tout de même « très très peu probable », ajoute M. Tourreille.

L’histoire se répète

Pour ce premier tour, la participation devrait s’établir au moins à 65 % des inscrits, selon les estimations, contre 47,51 % en 2022 et 67,9 % lors des dernières législatives organisées après une dissolution, en 1997.

Julien Tourreille y voit une analogie avec l’alternance qu’il y a eu à l’élection présidentielle de 1981 avec l’arrivée au pouvoir de l’union de la gauche sous François Mitterrand.

La droite, au pouvoir depuis le début de la Ve République, avait alors mis en garde contre l’extrême gauche, sans succès : l’électorat, qui s’était très fortement mobilisé, avait besoin de changement.

« On a un peu la même chose, j’ai l’impression, aujourd’hui, un peu plus de quarante ans plus tard », observe M. Tourreille. Selon le spécialiste, « la mobilisation a favorisé avant tout le RN ».

Si Jordan Bardella entrait à Matignon, ce serait la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un gouvernement issu de l’extrême droite dirigerait la France. Le président du RN a toutefois prévenu qu’il n’accepterait le poste de premier ministre que si son parti détient la majorité absolue.

Il s’agirait aussi d’une cohabitation inédite entre Emmanuel Macron, président pro-européen, et un gouvernement beaucoup plus hostile à l’Union européenne, qui pourrait faire des étincelles sur les prérogatives des deux têtes de l’exécutif, notamment en matière de diplomatie et défense.

Julien Tourreille ne serait pas étonné que le RN remporte une majorité relative très forte le 7 juillet, pas loin des 289 sièges nécessaires pour avoir la majorité absolue. Il pourrait atteindre cette dernière avec l’appui de quelques élus issus des Républicains.

« Je pense que ça va être quand même une campagne très très dure pour [le RN], dit le politologue. Ça va être leur objectif, c’est sûr, toute la semaine qui vient de dire : “Donnez-nous une chance” ».

Un autre scénario possible est celui d’une Assemblée bloquée, sans alliance envisageable entre des camps très polarisés, au risque de plonger la France dans l’inconnu.

Sans majorité absolue, quel que soit le gouvernement, il ne pourrait strictement rien faire, conclut finalement Julien Tourreille.

Assurément, « le jeu politique va se recentrer surtout à l’Assemblée nationale, soutient le doctorant Julien Robin. C’est là où le coeur du jeu va se jouer, et non plus au palais présidentiel ».

Avec l’Agence France-Presse

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