Efforts climatiques «insuffisants» de la part du Québec
Malgré le discours rassurant du gouvernement Legault, le Québec n’est pas sur la voie d’une réduction suffisante des émissions de gaz à effet de serre pour respecter ses engagements climatiques, conclut le Comité consultatif sur les changements climatiques. Il plaide donc pour un virage vers la « sobriété » énergétique, une hausse de la tarification carbone et des mesures « contraignantes » pour s’attaquer avec ambition à la crise.
Le message inscrit dans ce nouvel avis indépendant soumis au ministre de l’Environnement, Benoit Charette, lance un appel très clair au gouvernement : « le niveau d’ambition du Québec doit résolument s’accroître » si on veut se donner une chance de réduire substantiellement les émissions de gaz à effet de serre (GES) et transformer la société québécoise afin de faire face aux dérèglements du climat.
Les experts mandatés pour conseiller le ministre rappellent que « les politiques climatiques du Québec n’ont pas entraîné une décarbonation à la hauteur des défis climatiques ». Ils précisent qu’entre 1990 et 2021, les émissions de GES du secteur des transports routiers ont augmenté de 16 %, tandis que les émissions totales sur le territoire du Québec n’ont diminué que de 9 %. Qui plus est, elles ont augmenté en 2022 par rapport à 2021. Bref, à l’heure actuelle, « les efforts restent insuffisants » et « la fenêtre pour atteindre nos objectifs de décarbonation se réduit tous les jours ».
Président du Comité consultatif sur les changements climatiques, Alain Webster fait ainsi valoir que « les émissions sur le territoire du Québec ne sont pas en ligne avec les recommandations des organisations internationales comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ou l’Agence internationale de l’énergie », mais aussi que « la trajectoire vers la décarbonation complète d’ici 2050 deviendra de plus en plus exigeante si nous n’accélérons pas les efforts ».
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Les scientifiques qui ont rédigé ce sixième avis du Comité depuis sa création, en 2021, préviennent d’ailleurs que la baisse des émissions de GES devra être « abrupte » d’ici 2050 pour atteindre la « carboneutralité ». À titre d’exemple, entre 2022 et 2030, la réduction des GES doit atteindre au moins 3,2 millions de tonnes par année, soit l’équivalent de retirer 1,3 million de voitures à essence de la route.
Pour y parvenir, les experts plaident pour la mise en oeuvre de « changements structurels » dans notre société afin d’enclencher le processus de « décarbonation », qui passe par un virage vers la « sobriété énergétique ». Ils citent comme exemple, encore une fois, le besoin de revoir l’aménagement du territoire et de « densifier les villes », mais aussi de développer les transports collectifs et actifs afin de réduire le besoin de « déplacements individuels motorisés », et donc le nombre de voitures.
Le Comité constate aussi que le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de GES (le marché du carbone) et les diverses mesures d’écofiscalité « n’ont pas donné un signal de prix suffisant pour induire, sur le territoire québécois, la réduction nécessaire des émissions de GES ». Ils invitent donc notamment le gouvernement à hausser le prix du carbone afin d’envoyer un message en faveur d’« une transformation suffisante des modes de production et de consommation ».
Besoin de « mobilisation »
Dans leur avis au ministre Charette, les spécialistes des questions climatiques évoquent aussi l’idée d’un « budget carbone » tenant compte des cibles de réduction des GES, comme cela existe en France et au Royaume-Uni, qui permettrait « un recalibrage de l’action climatique si les objectifs ne sont pas atteints ».
« Malgré une sensibilisation grandissante aux enjeux climatiques, les actions du gouvernement n’ont pas permis de mobiliser l’ensemble des actrices et des acteurs de la société dans un engagement à la hauteur de la crise », soulignent par ailleurs les membres du Comité consultatif.
Ils citent comme exemple le dernier Baromètre de l’action climatique, qui révèle que, même si plus de trois personnes sur quatre (77 %) estiment que le Québec a la capacité d’agir contre les changements climatiques, elles sont beaucoup moins nombreuses (38 %) à croire qu’il agit efficacement. « Cet écart est susceptible de nourrir de la colère et de la frustration, voire du découragement, au sein de la population québécoise », souligne le Comité. Une part de plus en plus importante de la population déclare justement ressentir de l’impuissance (68 %), une augmentation de six points de pourcentage depuis 2021.
« Pour mobiliser la population, de nouveaux récits sont attendus, priorisant la sobriété, soulignant notamment les bénéfices nettement supérieurs de l’action climatique par rapport à l’inaction et rappelant que des objectifs ambitieux peuvent encore être atteints si l’on agit dès maintenant », souligne Valériane Champagne St-Arnaud, membre du Comité et professeure adjointe au Département de marketing de l’Université Laval.
« Le Québec est un des États les mieux placés pour effectuer la transition. Nous avons donc un devoir d’exemplarité », fait par ailleurs valoir Alain Webster, en rappelant que « les conséquences environnementales, sociales et économiques du dérapage climatique seraient énormes ».
Mais que le Québec réduise ou non ses émissions de GES, il doit impérativement mettre en oeuvre des mesures d’adaptation pour faire face aux dérèglements climatiques planétaires, affirme M. Webster, qui cite le besoin de verdissement des villes, mais aussi la protection des écosystèmes naturels. La lenteur des États à agir pour réduire les émissions de GES risque de provoquer un réchauffement qui dépassera facilement les 4 °C dans le sud du Québec bien avant la fin du siècle, prévenait récemment le Groupe d’experts en adaptation aux changements climatiques mandaté par le gouvernement Legault.
257 millions de tonnes de GES à cause des feux de 2023
Selon des données inscrites dans l’avis publié mercredi par le Comité consultatif sur les changements climatiques, les feux de forêt d’« une ampleur inégalée » qui ont frappé le Québec en 2023 ont émis « une quantité historique » de carbone dans l’atmosphère, soit 257 millions de tonnes d’équivalent CO2. Les changements climatiques affectent par ailleurs le « potentiel de séquestration du carbone » de la forêt boréale québécoise, qui « risque de se trouver à un point de bascule ». Selon le Bureau du forestier en chef, le carbone séquestré dans l’ensemble des unités d’aménagement forestier est de l’ordre de 22 milliards de tonnes d’équivalent CO2. « Plus d’un pour cent de ce stock énorme de carbone aurait brûlé au cours de la seule année 2023. Les changements climatiques ont plus que doublé la probabilité de la survenue des conditions météorologiques extrêmes vécues au printemps et à l’été 2023. Un vaste chantier visant à favoriser l’adaptation de nos forêts est ainsi requis », souligne le Comité.