Vers un risque d’isolement
Les nouvelles frappes israéliennes sur Rafah, jumelées à des décisions des tribunaux internationaux, accentuent le risque d’isolement du gouvernement de Benjamin Nétanyahou. Quand les bombes cesseront de pleuvoir et que les Gazaouis auront pleuré leurs morts par dizaine de milliers, que restera-t-il du champ de ruines de la paix au Proche-Orient ? Ce conflit risque d’emporter avec lui l’espoir d’une cohabitation pacifique entre les Israéliens et les Palestiniens et de fragiliser les alliances nécessaires à la stabilité de l’État d’Israël.
Nous ne pouvons passer sous silence la logique tordue du Hamas, groupe terroriste qui a déversé sa haine meurtrière sur des civils israéliens lors de l’attaque du 7 octobre dernier. Ce pogrom des temps modernes a fait près de 1200 morts et 252 otages, altérant à jamais la conscience israélienne et son sentiment de sécurité.
La neutralisation du Hamas est un préalable à la paix entre les deux peuples, mais certainement pas le seul. L’impitoyable offensive israélienne n’a pas produit les effets escomptés jusqu’ici. En dépit des 36 000 morts, en majorité des civils (selon les données du ministère de la Santé de la bande de Gaza), le commandement du Hamas n’a pas été éradiqué, le commanditaire de l’attentat du 7 octobre court toujours et les 121 otages encore vivants ne sont pas près de retrouver leur liberté.
C’est un fiasco pour une coalition gangrenée par l’extrême droite à la Knesset. Une extrême droite qui caresse ouvertement des ambitions de retour à la colonisation de Gaza et qui a perdu le sens de la proportionnalité dans sa riposte militaire. L’évolution de la réponse diplomatique et des décisions des tribunaux internationaux témoignent d’un malaise grandissant face à la stratégie du gouvernement Nétanyahou, sourd aux considérations humanitaires.
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a appuyé le droit d’Israël de riposter au lendemain de l’attaque. Dans les derniers jours, il s’est dit « horrifié » par les frappes sur Rafah, qui ont fait au moins 45 morts parmi les civils dans un camp de déplacés. Le premier ministre Nétanyahou a dit regretter cet « accident tragique ». M. Trudeau a réitéré son appui à un cessez-le-feu immédiat, à l’entrée de l’aide humanitaire et à la libération des otages. À l’instigation de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, le Canada a aussi modifié sa position historique sur la solution à deux États en se disant prêt à reconnaître l’État palestinien sans l’approbation d’Israël. L’Espagne, la Norvège et l’Irlande ont fait un pas de plus en reconnaissant officiellement l’État de Palestine.
La réponse des tribunaux internationaux procède de la même montée d’indignation. La Cour internationale de la justice (CIJ), d’abord réticente à exiger un cessez-le-feu, demande maintenant à Israël d’arrêter immédiatement les bombardements. La Cour pénale internationale (CPI) a également présenté des requêtes afin d’obtenir des mandats d’arrêt pour des crimes de guerre et crime contre l’humanité à l’encontre du premier ministre Nétanyahou, de son ministre de la Défense, Yoav Gallant, et des leaders du Hamas.
Enfin, le président américain, Joe Biden, a fait part de sa frustration devant l’absence d’un plan pour l’après-conflit à Gaza de la part de M. Nétanyahou. Deux ministres influents du cabinet de guerre israélien, Yoav Gallant et Benny Gantz, lui ont donné raison. Dans le cadre d’une visite non autorisée à Washington, M. Gantz a exprimé ses craintes devant la crise humanitaire qui menace de famine la population de Gaza. L’aura d’une fin de régime flotte sur cette visite de la part d’un prétendant qui se voudra moins inféodé que M. Nétanyahou au messianisme biblique.
L’ensemble de ces gestes, qui revêtent une lourde valeur symbolique sur le plan diplomatique, expose Israël à un risque d’isolement de la part de ses alliés occidentaux, alors que ce pays est beaucoup plus précieux que ses franges extrémistes. L’État d’Israël est une rareté démocratique dans une région du globe qui s’accommode trop facilement des théocraties et des pétromonarchies. Il a besoin de soutien, mais pas au prix de l’aveuglement face au dérèglement de l’intervention militaire et à la crise humanitaire qui place la bande de Gaza au bord de l’effondrement.
Entre le retour de la colonisation souhaitée par l’extrême droite et l’occupation militaire de Gaza, il ne semble pas y avoir de solution de rechange dans la vision de l’après-conflit de Benjamin Nétanyahou. D’ailleurs, celui-ci prévoit la poursuite de l’opération militaire jusqu’à la fin de l’année. Les alliés d’Israël ne peuvent pas compter sur le premier ministre actuel pour faire une place à l’Autorité palestinienne et aux factions modérées du côté palestinien dans la recherche d’une paix durable.
Il n’y a aucune équivalence morale entre le Hamas et la coalition au pouvoir à la Knesset, mais ils continuent tous deux d’assassiner la vaine promesse des accords d’Oslo : sécurité contre territoire. Tant que les bombes et les bottes l’emporteront sur la diplomatie et la coopération multilatérale, la paix restera hors de portée. Un cessez-le-feu demeure ainsi une étape incontournable pour arrêter cet engrenage destructeur.
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