Sentir le vent avant qu’il ne tourne

Verte, renouvelable, capable de générer des quantités appréciables d’électricité à des coûts de plus en plus doux, la production éolienne gagne en importance dans le mix énergétique mondial. Que le Québec décide d’entrer dans la danse par la grande porte, comme maître d’oeuvre, tombe sous le sens. Non seulement cette formule lui ressemble, mais elle lui permet de rompre avec l’éparpillement désordonné d’un développement privé qui aura jusqu’ici semé plus de tempêtes que de lendemains qui chantent.

Le Québec sait qu’il veut bonifier son capital hydroélectrique en prévision des mauvais jours climatiques. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est comment exactement. Tandis qu’on se chamaille autour de la filière batterie, qu’on cherche à tâtons des avenues pour libérer le potentiel de l’hydrogène vert et qu’on se questionne non sans crainte autour d’un possible retour du nucléaire, l’éolien arrive sur la table à dessin avec une légèreté technique et une aura de « propreté » qui ne sont pas de minces atouts.

L’énergie éolienne a des défauts : c’est une tueuse de paysages, elle est imprévisible et ses pales gênent les couloirs de migration. Elle peut être associée à des nuisances sonores et psychologiques variant en intensité selon les individus, rappelait en avril l’Institut national de santé publique du Québec. Mais la technologie parfaite, celle qui ne laisserait aucune trace, n’existe pas. À ce compte, ce qu’il faudrait, c’est consommer moins et mieux, mais c’est un autre débat (qu’il faudra faire aussi).

Le président-directeur général d’Hydro-Québec, Michael Sabia, sait qu’il avance en terrain compliqué avec l’éolien, mais il a des atouts. D’abord, il sait qu’opter pour une planification globale, avec des zones arrimées au réseau de transport d’électricité, lui permettra de minimiser ses coûts. Il sait aussi que la course folle à l’éolien sur la planète tire les prix vers le haut, mais qu’en offrant une prévisibilité et des volumes importants, il pourra espérer des économies d’échelle de plus de 20 %.

Il sait par ailleurs que le privé a brûlé l’essentiel de ses cartouches de sympathie. L’éolien doit se refaire une vertu auprès des citoyens, des municipalités et des Premières Nations. Ça tombe bien, Hydro veut en faire ses pleins partenaires : « C’est le seul moyen de rendre l’énergie disponible de manière socialement acceptable, plus vite et au meilleur coût possible », argue M. Sabia.

Plusieurs éléments pourraient toutefois faire dévier la société d’État de son objectif de développer plus de 10 000 MW de nouvelles capacités éoliennes d’ici 2035. À commencer par sa propension à la centralisation, qui pourrait devenir un frein à l’innovation et même à l’action si elle n’est pas bridée. Nous avons par ailleurs commencé à développer une intelligence et une expertise québécoises, nul besoin de réinventer la roue depuis zéro : elle tourne déjà. Ce qu’il faut, c’est la pousser plus fort, plus loin.

La grande inconnue de l’équation sera celle du travail en concertation. On ne veut pas revivre un échec comme celui du Maine ou un cauchemar comme celui de la ligne Hertel-des-Cantons. Forte d’un jugement déclarant « illégaux, inapplicables et inopérants » les décrets justifiant la construction de cette ligne, en 1999, la Coalition des citoyens du Val-Saint-François n’avait rien pu faire contre la loi spéciale du gouvernement de Lucien Bouchard. La ligne aura finalement avalé des hectares de forêts anciennes et de terres agricoles, en plus d’un plein contingent d’illusions citoyennes.

La confrontation sociale et le moindre gaspillage de nos richesses collectives ne passeront pas en 2024. Hydro s’est engagée à concentrer ses efforts dans des zones dites « structurantes », mais celles-ci devront être définies dans le plus fin détail. Il faudra mettre à l’abri notre garde-manger (nos terres cultivables n’occupent déjà que 2 % du territoire), mais aussi nos poumons (nos forêts anciennes) et nos reins (nos milieux humides et hydriques), comme nos paysages iconiques.

Heureusement, le Québec jouit d’un luxe de territoire qui facilite les développements optimaux. Quand c’est bien fait, les municipalités en redemandent, comme à Saint-Michel, où chacun a fini par y trouver son compte. Il y aura tout de même de la résistance et il faudra prendre le temps de la comprendre. On en voit de bons échantillons à Sainte-Croix ou à Saint-Pie, rapportait récemment notre reporter Roxane Léouzon. Ces oppositions concernent des projets privés. La suite peut donc — et doit — s’écrire différemment. 

Il s’agira pour Hydro, son p.-d.g, et ses partenaires de bien choisir leurs batailles et d’apprendre à mieux naviguer dans les eaux agitées du dialogue social au fil d’actions et d’examens qu’on voudra transparents et exemplaires. Michael Sabia a raté une belle occasion de le faire en rejetant tout de go l’idée d’un BAPE générique sur la filière éolienne. Ce n’est pas parce que la solution défendue par le regroupement Vent d’élus ne lui plaît pas que le débat est clos. Vent d’élus pose d’excellentes questions, elles méritent d’être débattues.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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