Québec solidaire appelé à choisir ses batailles

Les militants de Québec solidaire (QS) imaginaient sans doute fêter la majorité de leur parti autrement que sur un fond de crise existentielle. Le départ surprise d’Émilise Lessard-Therrien ne leur donne ni le luxe du doute ni le luxe du temps. Alors que s’ouvre leur conseil national à Saguenay, crever l’abcès avant que celui-ci ne tourne en septicémie est une nécessité.

Vrai, la ligne de parti est plus facile à suivre quand les idées sont subordonnées à une poignée de principes immuables et le reste relégué à la marge. Parti d’élans collectifs, Québec solidaire est abonné aux débats vifs et au choc des positions multiples. C’est à la fois sa force et son talon d’Achille. Les frénétiques débats épistolaires auxquels se sont livrés différents camps ces derniers jours auront fait trembler sa base et refroidi les ardeurs des Québécois, repli des intentions de vote pour QS à la clé.

Reste qu’en nommant ce qui cloche, en réclamant des assurances et en proposant des voies de passage pour permettre à QS de se recentrer sur ses fondamentaux, ces lettres ont le mérite de bien caractériser la plaie. Penser en dehors de la boîte est un art auquel les solidaires sont rompus. Il y a du bon à aller chercher dans toutes les missives publiées, autant du côté des Catherine Dorion et Alexa Conradi que des Françoise David et Amir Khadir ou Pierre Mouterde. Pour peu qu’il y ait de l’ouverture pour le faire.

Habile tribun et stratège redoutable, Gabriel Nadeau-Dubois a posé ses pièces avec l’assurance impérieuse de celui qui a compris que l’heure est grave et qui en prend acte. Il ne faudrait pas que son empressement à voir son parti « choisir [ses] batailles » lui permette de glisser sous le tapis des sujets qui continueront de fâcher s’ils ne sont pas vidés maintenant : au premier chef, cette douloureuse direction bicéphale qui a mal tourné. Les motifs du départ d’Émilise Lessard-Therrien sont nombreux, certains sont circonstanciels, d’autres personnels. Reste que le co-porte-parole lui-même a un examen de conscience à faire sur son leadership.

QS a aussi un nécessaire travail d’introspection féministe à faire. La tentation de renier ou mettre en dormance cette part-là sous prétexte qu’elle est susceptible de semer la discorde ou de freiner la marche vers le pouvoir ne peut qu’asséner un coup au coeur même de sa mission première. Non seulement l’approche féministe est dans l’ADN de QS, mais le parti s’est construit en partie sur ce qui meut les mouvements féministes. Cela lui a souvent réussi, d’ailleurs.

Mais voilà, si « les idées existent par et pour l’homme », l’homme, lui, « existe aussi par et pour les idées », et « nous ne pouvons bien nous en servir que si nous savons aussi les servir », enseigne le sociologue et philosophe Edgar Morin. C’est un peu le dilemme dans lequel est plongé QS : comment le parti peut-il servir ses idées dans sa laborieuse quête du pouvoir sans les dénaturer, elles, ni se renier, lui ?

La question est philosophique, mais les réponses sont, pour certaines du moins, éminemment pragmatiques. Dans un monde qui flirte avec une droite décomplexée, une voix de gauche pareillement lunée est vitale pour assurer un salutaire effet de balancier démocratique. Si QS devait imploser sous l’effet de cette crise existentielle, cela se ferait au prix de l’effritement d’une voix essentielle.

Car c’est dans le frottement des idées que jaillit souvent la lumière à l’Assemblée nationale, même si l’on néglige la part d’ombre, pour ne pas dire ingrate, qui revient aux oppositions. Et pourtant ! Les répliques de Gabriel Nadeau-Dubois à l’endroit du premier ministre Legault sont souvent celles qui piquent le plus juste et le plus fort. Avec la libérale Marwah Rizqy, Ruba Ghazal a considérablement contribué à faire avancer le dossier des violences sexuelles à l’école. Vincent Marissal a brillé dans le débat sur la réforme de la santé. Pas plus tard que mercredi, le gouvernement Legault a promis de renforcer la protection des milieux humides, cela après le dépôt d’une motion en ce sens… d’Alejandra Zaga Mendez.

Le député Andrés Fontecilla a quant à lui fait un travail magistral en habitation. On a pu apprécier la vigueur de ses efforts avec le dépôt cette semaine par la ministre responsable de l’Habitation du projet de loi 65, voué à aider les Québécois à passer au travers de la crise du logement « de façon plus humaine ». France-Élaine Duranceau n’a pas renié les origines solidaires de ce texte législatif, qui non seulement élargit la portée de la « loi Françoise David » — en soi un legs solidaire substantiel —, mais la télescope en agissant sur les évictions de l’ensemble des locataires pour une période de trois ans ou jusqu’à ce que le taux d’inoccupation passe le cap des 3 %.

Or, pendant qu’il se déchire sur son âme, QS ne prépare pas demain, pas plus qu’il ne travaille à parfaire le présent pour lequel ses députés ont été élus. Ce conseil national nous dira s’il a acquis, du haut de ses 18 ans, la sagesse collective nécessaire pour se sortir de cette crise, d’abord, mais aussi d’une logique qui l’a maintenu jusqu’ici en périphérie.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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