Les patients avant la paperasse

Pour réduire les aberrantes lourdeurs administratives empêchant les médecins de famille de voir plus de patients, le gouvernement du Québec fera un geste facile mais important en réduisant par projet de loi l’incessante paperasse liant les omnipraticiens aux assureurs avec, coincés entre les deux, des gens malades.

Radio-Canada nous apprenait mercredi que le ministre du Travail, Jean Boulet, a l’intention de déposer à l’Assemblée nationale un projet de loi dont l’adoption pourrait libérer, comme par magie, entre 300 000 et 700 000 rendez-vous avec des médecins dont le Guichet d’accès à la première ligne (GAP) manque encore cruellement. En réduisant de manière importante le bal des formulaires exigés des assureurs pour garantir la couverture de soins, le projet de loi permettrait de libérer jusqu’à 25 % de la semaine de travail des médecins. Ce n’est pas négligeable.

Avant de saluer l’initiative législative qui viendra alléger ces tâches administratives, insistons d’abord sur l’absurdité du contexte actuel. Un employé se fracture un bras ? Même si le médecin sait d’ores et déjà que le rétablissement prendra au moins huit semaines, la compagnie d’assurances couvrant l’indemnité pourra exiger une visite chez le médecin toutes les trois semaines, afin qu’il confirme qu’il y a toujours invalidité. Une autre employée doit avoir recours aux services d’un psychothérapeute couverts par son assureur ? Celui-ci exigera que ce soin soit avalisé par un formulaire signé par un médecin. La volonté des assureurs de contrôler les coûts et leur crainte de céder aux abus finissent par engorger le système de santé.

Dans un sondage effectué en 2022 par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, on apprenait que les médecins québécois consacrent le quart de leur temps à remplir des formulaires. Dans le cadre de sa 14e édition de sa Semaine de sensibilisation à la paperasserie — une vraie de vraie semaine, juré craché ! —, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante affirmait en 2023 que « les médecins canadiens consacrent collectivement environ 18,5 millions d’heures par année à de la paperasserie et des tâches administratives superflues, soit l’équivalent de 55,6 millions de consultations par année ». Le problème est réel.

Et la solution est apparemment à notre portée. Un projet de loi « facile », selon le ministre de la Santé, Christian Dubé, qui ne devrait pas susciter autre chose que l’unanimité. Devant la nouvelle, des regroupements d’assureurs se sont dits favorables à l’esprit du projet de loi, tout en plaidant pour de possibles exceptions. Cette action du gouvernement destinée à mettre fin aux abus administratifs s’ajoute à un premier pas effectué en février dernier, lorsque les exigences administratives pour l’accès à un CHSLD ou la couverture par la CNESST avaient été réduites.

Le ministre de la Santé évalue à environ 500 000 le nombre de rendez-vous que libérera le projet de loi. Mais il n’en a pas la certitude, car — incroyable, mais vrai — il n’a pas accès à ces données. Un autre brouillard dont le Québec a le secret. Un nouveau règlement publié cette semaine dans la Gazette officielle du Québec prévoit toutefois que les médecins devront désormais transmettre leurs plages de disponibilité au gouvernement. Tant que cela n’entraînera pas une nouvelle lourdeur administrative, il s’agit d’une excellente mesure.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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