Freiner le déclin avec l’école et la culture
Chaque rapport de l’Office québécois de la langue française (OQLF) entraîne son lot de frémissements et nous force à constater combien le maintien d’une langue française en santé est un combat de tous les instants. Sur tous les fronts, dans la rue, au travail, à la maison, dans les commerces, en culture et même dans nos établissements d’enseignement, il y a une joute à mener pour éviter l’effritement. Certains assauts sont brutaux et sautent au visage ; d’autres sont insidieux et provoquent un effilochement lent, mais certain.
Le dernier Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec, dévoilé par l’OQLF cette semaine, contient ses parts d’ombre. Dans presque tous les secteurs où est ausculté l’état du français au Québec, on sent un pouls qui bat moins fort. La part de Québécois parlant principalement le français à la maison continue de diminuer. Les allophones et les anglophones affirmant pouvoir soutenir une conversation en français sont moins nombreux. Au travail, le portrait est similaire : le français comme langue principale est grignoté par l’anglais. L’accueil uniquement en français a diminué dans les commerces de Montréal. Bref, la tendance n’est pas à la solidification des acquis, et ce, dans un contexte où le gouvernement de François Legault a fait de la lutte contre le déclin du français l’un de ses principaux chevaux de bataille.
Le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a tout à fait raison d’avoir ciblé la « fracture générationnelle » comme l’un des constats principaux de ce rapport quinquennal qui s’abreuve à des études, à des rapports et à des recensements effectués en amont pour brosser un portrait complet de la situation. Décortiqué de plusieurs manières, le rapport des jeunes au français montre des signes de détérioration, et le pire est peut-être que ce détachement tranquille du français se joue dans une certaine indifférence. Résumé (trop) simplement, on pourrait affirmer que là où les générations précédentes voyaient la domination de l’anglais avalant le Québec comme une menace venant nourrir un sentiment d’urgence, nos principaux intéressés ont les yeux tournés et les bras grands ouverts vers cette dictature de l’anglais associée pour eux à une ouverture des marchés mondiaux qu’ils embrassent.
Rien ne servira de brandir le bâton ou de démoniser cette jeunesse qui adhère à l’anglais principalement parce qu’il colore de plus en plus son environnement. L’étude citée par l’OQLF sur l’usage des réseaux sociaux par les jeunes dévoile que 55 % des 18-34 ans y publient autant en français qu’en anglais ou principalement en anglais. Le rapport montre aussi que les 18-44 ans s’adonnent moins souvent à des activités culturelles en français que les 45 ans et plus. Que le quart des collégiens venant du secondaire en français fréquentent un cégep anglophone sur l’île de Montréal. Que la part des 18-34 ans affirmant utiliser le français au moins 90 % du temps au travail a chuté, passant de 64 % en 2010 à 58 % en 2023. Voilà ce qu’on appelle une détérioration lente, mais certaine.
Que faire pour freiner le déclin là où notre avenir se joue, c’est-à-dire auprès des générations futures ? Les deux axes majeurs sur lesquels travailler sont sans contredit l’éducation et la culture. Le gouvernement caquiste a peut-être poussé un peu trop fort sur le bouton de la fierté au cours des dernières années pour mousser certaines de ses initiatives, mais en matière de langue, pour nourrir une certaine vanité linguistique, il faut réussir à donner le goût et faire aimer. Il n’existe pas de meilleure manière d’y arriver que de provoquer une exposition de tous les instants : sur les écrans, en musique et en littérature, l’initiation aux produits culturels québécois doit être encouragée dès le plus jeune âge. La priorité numéro 8 du Plan pour la langue française du ministre Jean-François Roberge concerne une meilleure maîtrise du français par les élèves. Osons ajouter un maillage ultrapuissant entre l’école et les institutions culturelles pour contaminer les enfants aux productions culturelles fabuleuses du Québec. Malgré de nobles intentions du passé, ce mariage culture et école passe souvent à la trappe lorsque vient le temps de distribuer les enveloppes financières.
Enfin, la prolifération des contenus en anglais sur les plateformes numériques doit être contrée par une présence plus soutenue des produits francophones. Entre autres recommandations, le Comité-conseil sur la découvrabilité des contenus culturels a récemment proposé que le Québec élabore un projet de loi précisément destiné à « garantir le droit fondamental des Québécois à l’accès et à la découvrabilité des contenus culturels d’expression originale de langue française dans l’environnement numérique ». Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, n’exclut pas de légiférer pour mettre les géants du Web au pas. Auprès des jeunes clientèles, moins alertées sur le drame d’une langue fragilisée, il faudra des semeurs de joie contagieux engagés à faire découvrir la richesse du français et son unicité. Le Québec regorge de ces passeurs talentueux.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.