Dépoussiérer sans dénaturer la formation générale au cégep

La formation générale au cégep est en crise. Jugés ennuyants, voire trop ardus, ses phares que sont la littérature et la philosophie peinent à éclairer des cohortes d’étudiants qui se braquent en masse. Intouchée depuis 1993, la formation générale n’a plus ce qu’il faut pour affronter les obstacles d’aujourd’hui, confirme le groupe de travail sur ces « cours défis ». Dans un rapport très attendu, il ne réclame rien de moins qu’« un chantier national » « dès maintenant ».

Ce sentiment d’urgence est au diapason de l’impatience manifestée par les étudiants, les professeurs et les experts du milieu collégial depuis que la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) a publié son mémoire dévastateur en mars 2023. On y découvrait avec consternation que cette formation — dont les premiers cours de français et de philosophie sont grevés par des taux d’échec inacceptables — est aujourd’hui jugée « inintéressante », voire « plate », par 53 % de ceux qui la suivent. Une catastrophe pour la persistance comme pour la réussite scolaire.

Dans la foulée, la section Idées du Devoir avait été submergée de réflexions invitant à penser l’actualisation de la formation générale. Cette effervescence, partagée autant par les farouches tenants de la tradition que par les ardents partisans du renouveau, n’avait pas semblé gagner la ministre de l’Enseignement supérieur. Se mettant en réserve de la République, Pascale Déry avait dit attendre le rapport du groupe de travail, prévu à l’été 2023, pour se faire une tête.

Le groupe a tenu sa promesse en déposant son rapport à la fin juin de la même année. Il aura fallu un an plein à la ministre pour le rendre public dans le silence assourdissant d’un vendredi aux allures estivales. Pour le sentiment d’urgence, on repassera. Pour l’action aussi. Mme Déry a simplement confirmé que son « ministère entend se pencher sur certaines recommandations qui le concernent » et annoncé des rencontres avec le réseau cet automne.

Cette année passée à l’ombre n’aura ainsi permis aucun avancement conséquent. Il y a pourtant de quoi faire des étincelles dans ce rapport de 230 pages qui invite à dépoussiérer les cours actuels sans les dénaturer.

Le réseau n’a pas besoin d’une révolution, fait d’emblée valoir ce groupe composé d’enseignants et de conseillers pédagogiques aguerris. Celui-ci prône plutôt un retour nécessaire à l’objet premier de cet enseignement, « fait de mémoire, de temps et d’espaces dans une époque qui n’en a que pour l’instant », au moyen d’une approche complètement renouvelée où l’on cherchera moins à accumuler des connaissances qu’à susciter des expériences. En soi, c’est déjà un retournement.

Pas question toutefois de succomber aux sirènes d’une offre à la carte inspirée des humanities chères aux Anglos. Le groupe fait en cela sienne la vision du sociologue et philosophe Edgar Morin voulant que « la structure actuelle des programmes qui encouragent une sorte de lobby disciplinaire et une parcellarisation des connaissances en disciplines contribue à l’effritement de la culture humaniste et au problème de l’inculture générale ». On lui en sait gré.

Sinon, le parti pris de la « polyvalence » revendiqué par la commission Parent tient toujours, spécialement dans un monde aux repères aussi mouvants que le nôtre. La littérature et la philosophie restent en effet des sésames précieux pour s’y retrouver. Ces cours à défis, quand ils font mouche, non seulement favorisent la réussite des autres cours, mais permettent aussi de nourrir l’imaginaire et la pensée critique nécessaires pour devenir des citoyens agissants, empathiques et engagés.

Le groupe de travail constate toutefois plusieurs écueils, dont deux sont déterminants. Le premier touche aux disparités qui se creusent au sein des populations étudiantes autant en matière de lecture et d’écriture qu’en matière d’autonomie, de maturité ou de stratégies d’apprentissage. C’est là un héritage empoisonné de l’école à trois vitesses, lit-on dans ce rapport, qui plaide pour que l’amélioration de « la connaissance et de l’apprentissage de la langue soit généralisée et intégrée à toutes les disciplines », aux études supérieures comme en amont, dès le secondaire.

Ce coup de barre appelle aussi à une panoplie de mesures d’aide et de soutien intensifiées, à des cheminements diversifiés, voire atypiques, et même allongés, à des ratios étudiants/enseignant revus à la baisse et au fin dépistage des étudiants à risque d’échec. Tout cela sonne juste et bon, mais braque les projecteurs sur un second écueil, tout aussi cardinal : soit un financement inconséquent avec les besoins actuels.

Les cours de philosophie et de littérature ont posé des défis dès leur introduction. Près de six décennies plus tard, il est grand temps de les considérer pour ce qu’ils sont, soit des fondations essentielles non négociables aux études supérieures comme à la santé de la démocratie. Revaloriser ces tremplins de toute urgence, et par tous les moyens, permettra du même coup d’articuler un rapport plus positif à la langue française, qui en a grand besoin.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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