Décarboner, façon Fitzgibbon

On a souvent senti le superministre Pierre Fitzgibbon pressé d’en découdre avec le monstre de la transition énergétique. Outre son obsession pour nos lave-vaisselle, il nous a régulièrement gratifiés des bribes d’une vision qui ne cherchait en rien à dorer la pilule, n’hésitant pas à aller là où François Legault refusait de s’aventurer, par exemple sur les dangers de l’électricité bon marché, la pertinence d’un malus ou le plafonnement des tarifs résidentiels.

Au moyen de phrases chocs — sur le parc automobile (il faut « deux fois moins de voitures »), la sobriété énergétique (dont nous serions « les derniers de classe ») ou la modulation des tarifs (« c’est la logique même ») —, on comprenait qu’il ne laisserait pas nos « défauts » le faire dévier de son objectif. Son projet de loi 69 sur « la gouvernance responsable des ressources énergétiques » vise toujours à faire du Québec le premier État carboneutre en Amérique du Nord d’ici 2050. Mais le chemin qu’il dessine ressemble plus à celui de son chef qu’au sien.

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie met la table pour un virage en faveur du développement durable sans trop s’avancer sur le menu qui y sera servi. Il dit vouloir prendre le temps de bien faire le débat. On devine que c’est plus compliqué, car sa volonté de ne rien forcer tranche trop avec ses sorties passées. Les ambitions modestes de son costaud PL 69 aussi.

La clarification du rôle de la Régie de l’énergie et la prise en compte de la transition énergétique dans ses activités marquent une avancée bienvenue, bien que timide. Oui, 2026 verra « une ouverture » à la modulation des tarifs résidentiels d’électricité dans les périodes de pointe. Mais tout sera « optionnel », rien ne sera « forcé » sinon le débat, qui viendra… après les élections. Idem pour le plafonnement de ces mêmes tarifs sous la barre des 3 %, que le ministre garantit jusque-là avec un critiquable tour de passe-passe « en dehors de la loi ».

On se réjouit sinon de la mise en place d’un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE) combinant cibles climatiques et ambitions économiques. Celui-ci permettra de déterminer les chemins menant à la décarbonation espérée afin de retenir celui qui permettra un équilibre idéal entre coûts sociaux et économiques. Le chemin de la transition sera au surplus payant pour le consommateur, avec une économie moyenne de 1500 $ par ménage, calcule un rapport du Conseil consultatif canadien de l’électricité fraîchement publié.

La volonté de couper en deux la bureaucratie dans laquelle se sont enlisées nos autorités décisionnelles est également une bonne nouvelle. Tout dépendra de la manière dont on y parviendra. Le ministre pense pouvoir « économiser une année complète entre le moment où on décide de faire un projet et le moment où on va le brancher ». Au prix de quels raccourcis ? Le projet de loi n’est pas clair, et c’est un problème qui ne pourra rester sans solution.

Pierre Fitzgibbon dit croire qu’on pourra « faire ça, tout en respectant les règles environnementales ». Difficile de lui donner notre bénédiction, surtout avec un ministre aussi peu combatif que Benoit Charette à l’Environnement. Leur gouvernement a trop souvent démontré son incapacité à prêcher par l’exemple pour qu’on se contente de voeux pieux, à commencer par la saga Northvolt, un dossier mal ficelé, mal vendu et plombé par une opacité inacceptable.

Il y aura un immense travail de pédagogie à faire autour de l’acceptation sociale qu’on présente comme le socle de cette vision énergétique. Le ministre Fitzgibbon a eu beau répéter qu’il est « hors de question de privatiser ou de dénationaliser quoi que ce soit », son projet de loi ouvre des portes qu’il lui faudra baliser bien plus minutieusement. À commencer par le sort incertain, voire préoccupant, qui attend les projets de 100 mégawatts et moins qu’on veut enlever des mains d’Hydro pour les passer à celles du privé.

Les Québécois sont mûrs pour la grande conversation à laquelle le gouvernement caquiste veut les convier. Il faut espérer que le cadre choisi pour le faire leur permettra de poser toutes les questions qu’ils jugeront nécessaires. Sans avoir peur de prononcer tous les mots qu’ils estiment à propos, même ceux qui brillent par leur absence dans le texte du PL 69, comme « sobriété » ou « décroissance ».

Décarboner la société ne se réduit pas à une question de mégawatts à produire, pour reprendre l’image de Nature Québec. Le hasard a voulu que l’édition 2024 du baromètre de Prospera paraisse quelques jours avant le dévoilement de la réforme Fitzgibbon. On y déplorait le fait qu’au Québec, « près de la moitié de l’énergie totale était perdue et n’apportait aucune valeur à l’économie ».

Des années de surplus ont nourri une désinvolture énergétique avec laquelle il faut rompre. Pierre Fitzgibbon répète lui-même que « la meilleure source d’approvisionnement future d’énergie » est « celle qu’on ne consomme pas ». Cela doit faire partie de l’équation, tout comme cette énergie perdue qu’il faudrait arrêter de produire en vain si c’est pour bêtement la gaspiller aux quatre vents.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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