La coquerelle dans l’école

Des livres, du mobilier et des plantes grignotés. Des excréments et de l’urine semés jusque dans les classes et les casiers. Des insectes qui grouillent autour des frigos avant de partir en balade sur le dos d’une boîte à lunch. Aux petits et grands humains qui composent la faune de nos établissements scolaires s’ajoutent trop souvent des contingents de rats, de souris et de coquerelles, dont la présence tend à se généraliser dans un réseau public qui accuse son âge. Difficile de ne pas y voir l’expression tangible — une autre — des différentes vitesses qui tirent notre système de l’éducation vers le bas.

Cette cohabitation forcée a un coût. S’intéressant au phénomène, notre reporter Zacharie Goudreault a ainsi découvert que les deux plus grands centres de services scolaires de la province ont vu leurs dépenses en services d’extermination gonfler. Très actif et investi dans une approche axée sur la prévention, le Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys a vu son budget passer de 69 657 $ en 2019 à 494 553 $ durant l’année scolaire qui s’achève. Le Centre de services scolaire de Montréal, le plus grand de la province, a vu le sien grimper de 24 % pour la présente année scolaire.

Le problème n’est pas que montréalais. Excréments de souris trouvés sur de la nourriture dans une école en Outaouais. Opération de dératisation dans une école du Bas-Saint-Laurent. Accès limité à certains locaux d’une école de la Montérégie en raison de la présence de rongeurs. Fermeture temporaire d’une école de Gatineau pour venir à bout d’une infestation récidivante de coquerelles. Cette liste rappelle de bien mauvais souvenirs à ceux qui ont eu — ou ont encore — les deux pieds dedans.

Parce qu’ils grouillent d’enfants, les milieux scolaires et les milieux de garde sont étiquetés comme des milieux critiques appelant à des mesures de sécurité accrues qui compliquent déjà les interventions. À Montréal cette année, la recette a aussi compté un hiver spécialement doux, une grève qui a laissé les locaux vides des semaines durant, de même que des options plus limitées dans les poisons pouvant être utilisés.

En 2022, la Ville de Montréal a banni certains pesticides afin de mieux protéger la santé humaine et de préserver l’environnement et la biodiversité. Il n’est pas question de critiquer ces retraits, la science et la Santé publique savent ce qu’elles font. D’autant que les rodenticides et les insecticides ne sont pas des panacées.

Exterminer sans agir sur les comportements des humains est l’équivalent de laisser les portes grandes ouvertes à de nouvelles infestations. On a multiplié les campagnes de sensibilisation en matière de punaises de lit, il faudrait faire de même avec la coquerelle. Cette petite bête tenace est encore prise avec trop de légèreté par les Québécois, selon des exterminateurs, qui notent que la blatte fait ses choux gras de nos désinvoltures additionnées.

Le facteur clé reste toutefois l’environnement immédiat, sur lequel les commissions scolaires ont peu de prises. Oui, elles peuvent combler une fissure ici et là. Oui, elles peuvent sensibiliser parents, élèves et personnel à une gestion plus étroite des locaux, des sacs à dos et des boîtes à lunch. Mais aussi longtemps qu’elles resteront prises avec des installations vétustes, cela restera un travail de Sisyphe.

Le gouvernement Legault n’aime pas qu’on lui parle de la vétusté de nos écoles. Lui qui adore les tableaux de bord a littéralement pris en grippe le calcul de la vétusté de nos écoles. Son bulletin remanié pour tenir compte de la valeur des travaux à réaliser en fonction de la valeur de remplacement du bâtiment affiche cette année – ô surprise ! — un nombre de bâtiments scolaires en mauvais état à la baisse (de 61 % à 56 % en un an). C’est toujours bien un établissement sur deux !

Ne lui en déplaise, la faune scolaire a d’ailleurs des yeux pour voir et des oreilles pour entendre la vermine qui se rit bien de cette note améliorée. Le deux poids deux mesures est toujours là, et il s’ajoute à d’autres indices d’un réseau public condamné à la seconde classe devant les moyens avantageux du privé.

Pas plus tard que la semaine dernière, le Québec constatait en direct les effets délétères d’une gestion caniculaire à deux vitesses avec d’un côté des classes climatisées, majoritairement privées et, de l’autre, des classes vétustes chauffées à blanc, massivement publiques. Ce fossé s’ajoute à celui archi-documenté de la ventilation des écoles, dont le bilan en deux teintes fait du surplace en dépit des appels à l’action répétés.

Et on ne parle même pas ici du marché scolaire florissant qui a permis, tranquillement, mais sûrement, la pérennisation d’un modèle d’école à trois vitesses, que le ministre de l’Éducation préfère réduire à un vulgaire slogan idéologique. Un peu comme le canari dans la mine, la coquerelle dans l’école ne ment pas, pourtant. Elle braque les projecteurs sur ce qu’on ne voit pas encore ou qu’on refuse de voir, soit que l’égalité sonne de plus en plus creux en éducation au Québec.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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