Avertissements d'outre-mer pour Justin Trudeau

De Londres à Paris en passant par Washington, l’humeur électorale qui menace de remercier froidement les dirigeants sortants n’a pas de quoi rassurer Justin Trudeau. Le vent ambiant est au changement, coûte que coûte, quelle qu’en soit l’idéologie, sa radicalité ou la délinquance de l’option de remplacement. L’ère est résolument au dégagisme des régimes politiques, contre lequel le premier ministre canadien, dont les propres troupes menacent d’y souscrire, n’a rien trouvé à offrir.

Les luttes électorales livrées ces jours-ci au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis ont toutes leurs dynamiques proprement domestiques. Les gouvernements y ont déçu les attentes, cumulé les scandales ou les crises politiques. Mais partout, ces déboires ont l’universalité d’avoir été accueillis par une intransigeance populaire ayant nourri une sous-jacente et grandissante colère.

Le pari irréfléchi du président Emmanuel Macron s’apprête à faire fiasco dans l’Hexagone, où le Rassemblement national de droite radicale se prépare à remporter une majorité législative dont la portée sera fixée à l’issue du deuxième tour dimanche, tandis qu’au sud de la frontière, l’acuité intellectuelle incertaine du président Joe Biden, s’il s’accroche comme candidat à la présidentielle, pourrait bien redonner les clés de la Maison-Blanche à son prédécesseur devenu criminel, Donald Trump. Le Parti conservateur britannique de Rishi Sunak subira vraisemblablement quant à lui ce jeudi l’inéluctable revers de l’alternance politique, au terme de 14 années difficiles au pouvoir, remplacé non pas par l’extrême droite pour sa part, mais par le Parti travailliste.

Malmené dans les sondages, désavoué lors de l’élection partielle dans Toronto–St. Paul’s et critiqué (voire pire) à l’interne, Justin Trudeau s’en remet, pour expliquer cette désaffection tenace, à l’anxiété généralisée portant l’extrême droite au pouvoir dans les démocraties d’Europe. Il est vrai que 70 % des Canadiens sont désormais d’avis, selon la firme de sondages Ipsos, que « le Canada est brisé », comme le leur martèle ad nauseam sans proposer de solutions concrètes le chef conservateur, Pierre Poilievre. Mais ce dernier, bien que populiste, n’est pas radical.

La dégringolade des libéraux de Justin Trudeau, au pouvoir depuis bientôt neuf ans, évoque de surcroît la fatigue populaire dont souffrent les conservateurs britanniques, auxquels succédera la gauche, prédisent les pronostics électoraux. Et si M. Trudeau préfère se comparer à Emmanuel Macron ou Joe Biden, force est de constater l’échec de la stratégie de diabolisation de l’option de droite.

Ce défi de persuasion, auquel échoue M. Trudeau depuis un an, vient de se transporter au sein de ses propres rangs. Les appels à son départ à la tête du Parti libéral du Canada sont rares et pour la plupart anonymes. Un seul député (le Néo-Brunswickois Wayne Long, qui ne briguera pas de nouveau mandat) et une seule de ses anciennes ministres, Catherine McKenna (proche de l’aspirant candidat à sa succession, Mark Carney) se sont exprimés publiquement, tout comme deux autres anciens ministres du gouvernement de Jean Chrétien.

Bien que circonscrite, la grogne n’est pas pour le moins intenable pour Justin Trudeau, qui paie aujourd’hui les frais de sa relation distante avec son caucus. Neuf de ses membres réclament en outre une réunion d’urgence de l’équipe libérale, afin de disséquer la cuisante défaite électorale essuyée dix jours plus tôt. Là encore, outre l’instigateur de la lettre, l’Albertain George Chahal, les huit cosignataires ont refusé de sortir de l’ombre, témoignant de la timidité du mécontentement. Pour l’instant… Car cette nervosité politique a la fâcheuse habitude de s’envenimer. Surtout lorsqu’elle n’est pas apaisée.

Or, non seulement Justin Trudeau ne s’est-il pas engagé à rencontrer son caucus en entier, il ne leur a pas non plus promis les changements de cap réclamés, lors de sa première rencontre avec la presse depuis la dégelée torontoise, à Montréal mercredi. « Continuer de livrer pour les Canadiens », comme il s’entête à le répéter, n’y fera rien.

Le chef libéral doit crever l’abcès : laisser son orgueil au vestiaire, monter dans le ring de boxe et encaisser les coups de ses députés. Pour ensuite ajuster le tir. Muter quelques ministres ou employés politiques obscurs n’y changerait pas grand-chose, de toute façon. C’est de l’offre politique libérale — avec ses déficits successifs, son inertie administrative et sa lourdeur bureaucratique — que les électeurs, et certains membres du caucus, ne sont plus convaincus.

Le vieil adage veut que ce ne sont pas les partis d’opposition qui gagnent des élections, mais les gouvernements qui les perdent. S’il persiste à satisfaire sa vanité, Justin Trudeau pourrait bien venir à son tour le confirmer. À moins que ses troupes ne le forcent à écourter son mandat d’ici là.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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