En attendant le véritable séisme
La rencontre annuelle des dirigeants du G7 s’accompagne inévitablement, à chaque occasion, des sempiternelles interrogations quant au bien-fondé et à la pertinence de ce partenariat. Celle de cette année n’y a pas échappé, en cette ère de gain de popularité des extrêmes. Le sommet organisé en Italie, ce terreau de la droite radicale européenne, aura au contraire dégonflé en grande partie l’alarmisme de certains défaitistes. Les fronts communs ont survécu, pour la plupart, à la dichotomie des idéologies des sept leaders. Du moins, pour l’instant.
Certes, la première ministre italienne, Giorgia Meloni, ultraconservatrice, s’est opposée à ce que le communiqué final du sommet défende, comme celui de l’an dernier, le « plein respect » de « l’accès à un avortement sûr et légal ». La déclaration des dirigeants des sept puissances économiques s’en est tenue cette fois-ci à soutenir « les droits sexuels et reproductifs ». Un navrant recul, l’accès à l’avortement étant inexistant dans de trop nombreux pays, mais désormais aussi précaire là où il était pourtant protégé. L’hôte de la rencontre, qui se présente comme une « mère chrétienne », a apposé son empreinte aux croyances de ses collègues.
Mais au-delà de cette question de santé et de libre choix, la première ministre Meloni n’a pas fait éclater les consensus. Le groupe des sept offrira à l’Ukraine un prêt de 50 milliards de dollars américains (d’abord assumé par les États-Unis, mais auquel le Canada contribuera à hauteur de 5 milliards), garanti par les intérêts tirés des 300 milliards d’euros d’actifs russes gelés et saisis. Le président américain, Joe Biden, a en outre annoncé pour Kiev un accord de sécurité de dix ans, un soutien plus concret que les discussions qui ont suivi au sommet suisse sur la paix. L’appui à la proposition américaine de cessez-le-feu à Gaza tient toujours, lui aussi. En matière de migration, thème dont Giorgia Meloni avait fait un axe central du sommet, les dirigeants du G7 ont tout au plus convenu de lutter contre les déplacements irréguliers et les réseaux criminels de passages clandestins. L’âpre discours anti-migrants de la politicienne d’extrême droite s’est manifestement apaisé.
Les résultats des élections européennes obtenus en France et en Allemagne, où le Rassemblement national et l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), de droite radicale, ont terminé respectivement premier et deuxième, avaient ébranlé les choses, à quelques jours de l’ouverture du sommet. Le pari risqué du déclenchement surprise d’élections législatives par le président français, Emmanuel Macron, tout autant. La présidence italienne du G7, cette année, montre toutefois que les tensions nationales ne font pas nécessairement dérailler l’unité des alliances internationales des membres. Pas plus que les désaccords entre dirigeants, qui secouent, mais qui ne désolidarisent pas les leaders pour autant (outre l’expulsion de la Russie pour cause d’invasion de la Crimée, évidemment).
Le passé l’a bien démontré. En 1985, notamment, lorsque François Mitterrand avait menacé de quitter le Groupe des sept pour de bon, farouchement opposé à de nouvelles négociations commerciales multilatérales, avant d’être convaincu par Brian Mulroney d’y rester (et de consentir l’année suivante à ces mêmes pourparlers). « Même lorsqu’ils ont une forte antipathie politique ou personnelle, les dirigeants du G7 savent bien qu’ils échoueront s’ils ne s’unissent pas pour faire face aux menaces communes », observe le professeur John Kirton, expert de ces sommets depuis plus de 25 ans.
Les visées impérialistes de la Russie et de la Chine, de même que l’urgent défi climatique, n’y font pas exception. Donald Trump, en revanche, déroge à cette cohérence. L’ancien et possible prochain président des États-Unis menace à lui seul bien davantage de déstructurer le G7, l’OTAN et d’autres regroupements.
Le désintérêt du candidat républicain pour la coopération internationale est notoire. Son désaveu du sommet de Charlevoix, à peine en était-il parti par les airs, l’avait pitoyablement démontré. Qu’il ne se bâdre même pas d’en organiser un à son tour lors de sa propre présidence, ne serait-ce que virtuellement, sous prétexte pandémique, l’a éloquemment confirmé.
Le sommet de Borgo Egnazia, dans les Pouilles, était à mille lieues de ce mépris du dialogue multilatéral. Le premier ministre indien, Narendra Modi, invité de Mme Meloni, y a même échangé, bien que très brièvement, avec Joe Biden et Justin Trudeau, dont les gouvernements ont accusé le sien d’avoir fomenté l’assassinat de militants sikhs sur leur territoire. Donald Trump, de son côté, qui s’est fièrement affiché en intimidateur planétaire plutôt qu’en diplomate avisé, ne voit même pas l’intérêt de s’entretenir avec ses propres alliés.
La rencontre en Italie avait probablement un air de nostalgie pour les dirigeants des pays du G7, car outre quelques différends, elle s’est déroulée plus rondement que le tumulte que pourrait leur réserver, selon l’issue de l’élection américaine, le prochain sommet, lequel est prévu à Kananaskis, en Alberta. À tout le moins, pour les dirigeants qui y seront encore dans un an.
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