En attendant de risqués pouvoirs inédits

Ni l’un ni l’autre n’avaient l’air particulièrement emballés d’être là. À l’issue de leur rencontre, Justin Trudeau et François Legault ne s’étaient toujours pas réconciliés sur la question de l’immigration. Les premiers ministres du Canada et du Québec se sont plutôt renvoyé la balle, à coups de points de presse successifs, s’adonnant à une guerre de chiffres et d’échéanciers dont nul ne sort gagnant.

Les prémisses de chacun étant inconciliables, le dénouement de leur tête-à-tête semblait inévitable. En effet, François Legault et Justin Trudeau ne s’entendent même pas sur le nombre d’immigrants temporaires qui se trouvent sur le sol québécois (le premier se fie aux estimations de Statistique Canada, tandis que le second s’en remet au ministère fédéral de l’Immigration), ou encore sur la proportion d’entre eux que gèrent leurs gouvernements respectifs. Leur définition d’« urgence » diffère également, les mesures promises par Justin Trudeau dans les prochains mois étant jugées insuffisantes par François Legault, qui exigeait des gestes immédiats.

Le premier ministre fédéral a pourtant jeté du lest et 750 millions du milliard de dollars que réclamait Québec. M. Trudeau reconnaît en outre désormais qu’il faut « réduire le nombre disproportionné de demandeurs d’asile au Québec ». Pour ce faire, il prévoit un mécanisme de répartition de ces nouveaux arrivants vers d’autres provinces pour le mois de septembre, un resserrement de l’octroi de visas dans des pays « à fort volume » (dont l’Inde, surtout) à compter de cet été et l’accélération des demandes de permis de travail ou des renvois en cas de refus. Faute de se voir consacrer des ressources supplémentaires, par contre, ce dernier pan de son plan risque de se heurter encore à de sempiternels délais administratifs, des milliers de dossiers venant s’ajouter tous les mois au déjà très lourd arriéré.

L’envolée de ces arrivées en Ontario — qui accueille désormais mensuellement 50 % des demandeurs d’asile réclamant refuge au Canada — n’est pas étrangère à cette soudaine volonté de Justin Trudeau d’apporter enfin des changements à sa politique d’immigration. Vivotant dans les intentions de vote, le premier ministre ne peut se permettre de contrarier les deux plus grosses provinces. Encore moins l’unique et dernière, le Québec, où son parti demeure un tant soit peu dans la course, malgré l’empiétement systématique de ses champs de compétence exclusifs.

Le rééquilibrage promis en immigration devra maintenant se concrétiser, et rapidement, car François Legault — qui espère une réduction de moitié de l’accueil fédéral — a bien raison de déplorer qu’il ait déjà trop tardé.

Justin Trudeau n’a en revanche pas tort de relever que le premier ministre québécois se garde bien pour sa part de resserrer l’accueil d’immigrants temporaires là où il le pourrait. M. Legault rétorque que le Québec a besoin de ces étudiants de même que de ces travailleurs en région ou dans des domaines frappés par la pénurie de main-d’oeuvre. En sommant Ottawa de prendre de telles décisions difficiles, les caquistes s’en dispensent habilement pour l’instant. Il ne suffit cependant pas de faire porter le manque d’infirmières, d’enseignants et de logements aux immigrants temporaires pour se dédouaner de pénuries qui sévissent depuis des années.

Quant au déclin du français, l’exigence de sa maîtrise qui sera imposée pour renouveler les permis de travailleurs temporaires relevant du Programme de mobilité internationale du fédéral est un « gain majeur », comme le qualifiaient eux-mêmes les caquistes au mois de mars.

Si M. Legault est ressorti déçu de sa rencontre avec M. Trudeau, malgré ces réponses positives à plusieurs de ses demandes (bien qu’elles ne soient pas toutes datées ou chiffrées), c’est qu’il s’est une fois de plus heurté aux limites du carcan fédéraliste. De pleins pouvoirs en immigration, il n’aura visiblement point.

L’annonce préventive d’un « comité consultatif sur les enjeux constitutionnels pour accroître l’autonomie du Québec au sein de la fédération canadienne » était donc de circonstance. Plutôt que de brandir un référendum sectoriel dont il ne veut plus, M. Legault pourra maintenant agiter ce nouvel élan nationaliste susceptible de dénicher, espère-t-il, de nouveaux pouvoirs pour le Québec jusqu’ici insoupçonnés.

Deux avenues s’offrent toutefois au comité, qui seront pour lui tout aussi risquées. Si ses experts ne décèlent pas de nouvelles voies de passage, les reproches d’aveu d’échec seront difficiles à réfuter. Si ces pouvoirs inédits étaient jusqu’ici négligés, François Legault devra se justifier de ne pas les avoir plus tôt invoqués.

Les caquistes répliqueront qu’il fallait d’abord mener à bien cet exercice d’exploration constitutionnelle. Mais au gouvernement depuis six ans, ils ne pourront faire l’économie de justifier le fait qu’à force de se heurter au mur fédéraliste à répétition, ils aient attendu si longtemps. En effet, c’est à eux, aux commandes du Québec, que revenait de faire la démonstration de leur nationalisme autonomiste.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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