«Presumed Innocent»: combat de coqs
« Comment est-ce que je pourrais être le bad guy ? » plaisante Peter Sarsgaard (Le mystificateur) à propos du personnage, un brin horripilant, de Tommy Molto qu’il incarne dans la fiction à suspense juridique Presumed Innocent. « Je ne comprends pas pourquoi et je n’ai pas vu cette facette de lui pendant le tournage », explique l’acteur américain. En revanche, il concède que Tommy Molto doit sans cesse composer avec sa propre jalousie. Ajoutons à cela une pincée d’obsession, de sexe, de politique, de pouvoir et d’amour, et ce cocktail explosif a de quoi mettre la puce à l’oreille… D’autant plus que la série, nouvelle adaptation du roman du même nom après le film en 1990 mettant en vedette Harrison Ford, a été créée par le maître du rebondissement David E. Kelley, derrière Ally McBeal, Big Little Lies et Nine Perfect Strangers, entre autres.
De fait, Tommy Molto est l’un des procureurs du bureau de Chicago dont le fragile et relatif esprit d’équipe est ébranlé non seulement par la course à l’élection du procureur général, mais aussi et surtout, par le meurtre sauvage de la procureure Carolyn Polhemus, interprétée par Renate Reinsve (The Worst Person in the World). Très vite, les indices pointent vers le procureur vedette Rusty Sabich, à qui Jake Gyllenhaal (Prisoners) prête ses traits. « Mon personnage doit s’occuper d’un cas où il y a énormément de preuves à charge », raconte Peter Sarsgaard.
Avec Jake Gyllenhaal, qui tient le rôle principal de Presumed Innocent, et sa gueule d’ange, on aurait tendance à croire qu’il est impossible qu’il ait pu commettre un tel crime. À tort, estime Peter Sarsgaard. « Jake Gyllenhaal a beau être l’équivalent du gars le plus populaire — mignon et drôle — du secondaire, du genre quarterback dans la série, les preuves contre lui sont implacables », souligne-t-il. Au contraire, l’acteur voit plutôt Tommy Molto comme le nerd du coin.
« On parle du meurtre d’une femme quand même, c’est horrible », affirme Peter Sarsgaard. Et de poursuivre : « Je pense que mon personnage fait quelque chose de très noble en mettant de côté ses émotions — la jalousie, notamment — pour inculper quelqu’un qu’il connaît et considère vraiment. » Tommy Molto serait, selon lui, « son propre héros ». L’acteur croit ainsi, dans la fiction comme dans la réalité, que l’on devrait moins se méfier des individus solitaires que de celles et ceux qui semblent bien entourés et appréciés de tous. « On a bien vu que certaines personnes populaires à l’échelle mondiale ne sont pas les plus fiables et les plus respectables, disons », fait-il remarquer, non sans une certaine ironie.
Peter Sarsgaard sait de quoi il parle, puisqu’il est lui-même quelqu’un qui a passé beaucoup de temps seul dans sa vie. « Je suis enfant unique et j’ai toujours adoré ça », dit-il. Mais, d’après l’Américain, le problème avec la solitude, c’est qu’on peut aller loin, très loin avant de comprendre que ce que l’on pense être vrai ne l’est finalement pas. Faire le lien entre son expérience et celle de Tommy Molto fut en outre pour lui chose réjouissante. « J’aime beaucoup le fait que mon personnage n’est jamais capable de prendre en compte et de rebondir sur les idées des autres. C’est un homme qui est toujours seul dans sa tête », indique l’acteur.
Rusty Sabich contre le peuple devient rapidement Rusty Sabich contre Tommy Molto dans un procès brûlant. Qui de Tommy Molto ou de Rusty Sabich, qui clame son innocence depuis le début, détient la vérité ? « David E. Kelley a ce talent incroyable de garder les téléspectateurs accrochés à leur siège pendant huit heures », confie Peter Sarsgaard, qui n’en est pas à sa première minisérie (The Slap, Wormwood ou encore Dopesick). Il sait donc à quel point il est difficile de tenir le public en haleine épisode après épisode. « Pour David, on dirait que c’est la chose la plus naturelle du monde », ajoute l’acteur.
« Cela dit, pendant la production, je ne me suis jamais mis à la place du téléspectateur, mais je suis resté concentré sur mon rôle », se souvient Peter Sarsgaard. Qu’est-ce que Tommy Molto ferait dans telle ou telle situation ? Une interrogation en guise de leitmotiv pour lui. « Ce qui m’attire le plus quand je choisis un projet, ce n’est pas le personnage, mais plutôt l’expérience », affirme l’acteur. Quel message veut-on nous faire passer dans Presumed Innocent ?
« La série est aux antipodes du long métrage », prévient par ailleurs Peter Sarsgaard, qui a tout inventé pour son rôle. « Il n’y a aucune allégeance à quoi que ce soit, ni au livre ni au film, et j’ai créé tout un univers autour de mon personnage en privilégiant le matériel qu’on m’avait donné, donc le scénario », précise-t-il. L’acteur s’est fait un point d’honneur à toujours respecter la vision de Tommy Molto, ce à quoi le monde ressemble à travers ses yeux. « Quels sont ses rêves ? Qui admire-t-il ? Ça dit énormément de choses sur sa vie », conclut-il. De quoi laisser le téléspectateur un peu plus dans le flou, jusqu’au dénouement.
La série Presumed Innocent est-elle réussie ?
De prime abord, la réponse est oui. Presumed Innocent est le genre de série qu’on binge watch facilement en un ou deux jours tant le suspense est prenant — certainement un poil moins que dans Big Little Lies, cela dit. Aucun doute que David E. Kelley prouve, une fois de plus, qu’il brouille les pistes comme personne tout en nous donnant à voir les côtés les plus obscurs de notre humanité.
Là où le bât blesse, toutefois, c’est du côté du développement des personnages féminins. Qui était vraiment Carolyn Polhemus ? Barbara Sabich, ici Ruth Negga (Loving), est-elle plus qu’une conjointe trahie ? Et que dire de la fantastique Gabby Beans (The Harbinger), qui joue Mya, l’une des avocates de Rusty Sabich ? Jaden Sabich ? Alana Rodriguez ? Lorraine Horgan ? La liste est longue…