«Becoming Karl Lagerfeld»: Théodore Pellerin à la mode Jacques de Bascher
« Je ne connaissais presque rien de Jacques de Bascher avant les auditions », confie d’emblée Théodore Pellerin, qui incarne cet être haut en couleur dans Becoming Karl Lagerfeld, la série française signée Isaure Pisani-Ferry adaptée de Kaiser Karl, la biographie du créateur et styliste allemand de la journaliste Raphaëlle Bacqué. « C’est en ayant le rôle ensuite que je me suis permis de découvrir le personnage pour de vrai », ajoute le comédien, époustouflant sous les traits de ce dandy parisien intime de Karl Lagerfeld dans les années 1970 et 1980.
La série relate ainsi l’amitié rivale attisée par Pierre Bergé entre Karl Lagerfeld, ce mercenaire du prêt-à-porter pour la maison Chloé, inconnu du grand public, et un Yves Saint Laurent au sommet de son art. Quand Jacques de Bascher arrive dans cette équation déjà sous tension, les choses s’embrasent — dans la réalité comme dans la fiction. « Il y a Yves qui est à la course derrière Jacques, qui est complètement amoureux de sa jeunesse, de son confort, de sa décadence. Et puis il y a Jacques qui est à la course derrière Karl, qui est amoureux de sa capacité à créer et de son contrôle, de sa domination, de ses extrêmes », explique Théodore Pellerin, visiblement encore fasciné par ce qu’il a joué à l’écran.
La série relate aussi en filigrane la relation hors norme entre deux personnalités complexes et explosives aux antipodes l’une de l’autre. Karl Lagerfeld, exceptionnellement incarné par Daniel Brühl, et Jacques de Bascher se sont côtoyés de près ou de loin jusqu’à la disparition de ce dernier en 1989, alors que le sida fait des ravages. « Ce sont des personnages qui aimaient dans la littérature et dans l’histoire des personnages esthètes et qui s’enfermaient dans des châteaux pour s’inventer un monde », mentionne Théodore Pellerin. Pour lui, ces gens-là vivaient dans une autofiction, et c’est bien là que réside l’essence de Jacques de Bascher. « Ceux à qui j’ai parlé qui le connaissaient et qui étaient proches de lui disaient que c’était un travail à temps plein pour lui d’entretenir cette chose-là qu’il construisait autour de lui. » Un luxe rendu possible par le soutien indéfectible du « Kaiser ».
Pendant deux décennies (une seule dans Becoming Karl Lagerfeld), Karl et Jacques vont exercer l’un sur l’autre une forme de domination mutuelle. « Jacques voue un grand amour et une grande admiration à Karl et ce qu’on raconte dans la série, c’est cette quête effrénée pour être vu et considéré comme un artiste aux yeux de Karl et pas seulement comme un papillon de nuit qui lui permet de prendre le pouls sur son époque », indique Théodore Pellerin. De son côté, Karl craint que Jacques, qu’il aime même s’il ne sait pas le lui témoigner, prenne son indépendance. « Il veut conserver son influence sur Jacques parce qu’il est persuadé que si Jacques est capable de s’accomplir, il n’aura plus besoin de lui, mais je ne crois pas que ça soit vrai », poursuit le comédien, qui pense, de fait, que le coeur de leur lien est l’amour, malgré tout.
Théodore Pellerin se souvient à ce propos du premier jour de tournage de Becoming Karl Lagerfeld. Un moment clé pour lui dans la compréhension de la relation entre Jacques et Karl. « Ma première scène était celle de leur rencontre, et c’était super de commencer avec ça parce que tellement de choses s’installent dans cet instant », fait-il remarquer. Son personnage immédiatement trouvé, le comédien évoque ensuite l’élan qui l’a propulsé jusqu’à la fin de la série. Et le jeu avec Daniel Brühl n’y est pas étranger. « On n’avait pas fait de screen test, donc on s’est directement retrouvé à jouer pour de vrai et je me suis tout de suite dit que ça allait être génial », souligne le Québécois, qui ne tarit pas d’éloges pour son confrère allemand. « C’était tellement facile de le regarder et de croire à ce qu’il faisait », s’enthousiasme-t-il. Un peu comme Jacques parlerait de Karl, somme toute. « Quand tu es face à quelqu’un qui est aussi présent et qui résonne avec toi, tu n’as presque plus besoin de rien faire ! »
S’il ne connaissait pas Jacques de Bascher avant Becoming Karl Lagerfeld, Théodore Pellerin ne connaissait pas grand-chose à l’univers « très cruel, très violent et très dur » de la mode non plus. « La jeunesse et la nouveauté y sont un peu les seules valeurs », estime le comédien. Pour lui, il était tout de même important de comprendre ce qu’est la mode et quels en sont les mécanismes pour « comprendre ce que ça prend d’être quelqu’un qui réussit et qui veut à tout prix être au top de ce monde-là ». Parce que tout un chacun peut se faire éjecter de la mode sans préavis, son personnage n’échappe pas à cette vulnérabilité. « Jacques a très peur de ne plus appartenir à ce milieu et de se faire fermer la porte au nez », croit-il.
Enfin, c’est avec une nostalgie certaine que Théodore Pellerin revient à nouveau sur sa préparation à la série. « Je trouvais ça tellement bien écrit qu’avant même le tournage, j’avais déjà un sentiment de deuil », se souvient-il. S’il avoue avoir fourni beaucoup d’efforts pour devenir Jacques de Bascher dans Becoming Karl Lagerfeld, il s’agit manifestement d’un heureux labeur dont nous ne sommes pas en reste.
Daniel Brühl et Théodore Pellerin crèvent l’écran
Une série sur Karl Lagerfeld… De prime abord, l’aura du grand couturier, qui a toujours semblé venir d’un espace-temps lointain, peut effrayer, d’autant plus quand on sait qu’il a pu de son vivant tenir des propos racistes, misogynes et grossophobes. Mais ce qui est très réussi avec cette fiction, c’est qu’elle ne cherche ni à justifier, voire à excuser, ses comportements, ni à l’encenser ou à le diaboliser : au contraire, Becoming Karl Lagerfeld brosse un portrait non édulcoré et tout en subtilité du « Kaiser de la mode », en nous montrant sans la juger son humanité. Et puis comment ne pas tomber sous le charme de l’interprétation de Daniel Brühl ? L’acteur allemand est tout simplement sensationnel, tout comme Théodore Pellerin d’ailleurs. Le duo offre ainsi une performance mémorable qui émeut à bien des égards.