«Données personnelles. Reprenons le pouvoir!», petit manuel d’autodéfense numérique

L’autrice Cécile Petitgand défend la position que les citoyens devraient prendre part aux décisions sur la collecte et la gestion des quantités astronomiques d’informations à leur sujet captées par les géants technologiques et les gouvernements.
Photo: Julien Cadena Le Devoir L’autrice Cécile Petitgand défend la position que les citoyens devraient prendre part aux décisions sur la collecte et la gestion des quantités astronomiques d’informations à leur sujet captées par les géants technologiques et les gouvernements.

Votre automobile vous espionne. La fondation Mozilla, basée en Californie, a analysé les vingt-cinq modèles les plus populaires et a conclu que tous, sans exception, « collectent davantage de données personnelles que ce qui est nécessaire ». En fait, la voiture constitue « le pire produit pour la non-protection des données personnelles » parmi toutes les bébelles connectées analysées, y compris des montres, des enceintes, des écouteurs ou des applications de rencontre.

Les logiciels de bord des voitures captent des informations, même celles fournies par les téléphones des passagers, les transmettent aux constructeurs qui peuvent les envoyer à leur tour à des partenaires. Tesla arrive en dernier sur la liste des chapardeurs. Seuls les constructeurs Renault et Dacia permettent aux automobilistes de demander la suppression des informations ratissées par leurs bolides mouchards.

La Fondation Mozilla a été créée « pour assurer qu’Internet demeurera un bien commun, ouvert et accessible ». Le Web l’a-t-il jamais été ? Et d’abord, avons-nous vraiment choisi de vivre dans cette Toile mondialisée ?

« Dans nos pays démocratiques, dirions-nous que nous sommes passés en toute connaissance de cause à l’ère du numérique ? Y a-t-il eu un moment précis où notre société s’est embarquée la tête la première dans le monde de l’hyperconnexion et de la production massive de données numériques ? » demande Cécile Petitgand dès le premier paragraphe de son essai Données personnelles. Reprenons le pouvoir !.

L’ouvrage concentré dans quelque 70 pages bien serrées rappelle que nos vies, nos actions et nos interactions virtuelles génèrent des masses himalayennes de renseignements captées par les géants technologiques et les gouvernements. L’essai défend la position que les citoyens devraient prendre part aux décisions sur la collecte et la gestion de ces informations qui les concernent fondamentalement.

« Ce livre, c’est un projet que j’ai depuis longtemps en raison de mes activités de formatrice et de mon profil universitaire, explique Cécile Petitgand en entrevue. Je donne beaucoup de formations sur l’engagement citoyen en santé autour des données et sur l’intelligence artificielle. Je souhaite que les données soient vraiment accessibles à tous et compréhensibles par tous. J’ai donc conçu ce petit manuel d’autodéfense à l’intention à la fois des citoyens et des organismes publics du Québec. »

Un autre monde

Mme Petitgand est arrivée à Montréal il y a quelques années pour un postdoctorat sur les défis humains de l’implantation de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur hospitalier. Son doctorat défendu au Brésil en cotutelle avec la France traitait de « l’entrepreneuriat à visée émancipatrice » dans le domaine du textile en s’appuyant sur les théories du grand pédagogue Paulo Freire. Elle a travaillé au CHUM (Centre hospitalier de l’Université de Montréal) comme conseillère en innovation technologique et comme coordonnatrice de l’initiative d’accès aux données de la direction de la recherche du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.

Elle a fondé et préside maintenant Data Lama, qui prône la démocratisation du numérique et de l’IA. Elle donne des formations pour favoriser l’engagement citoyen dans ces domaines. En septembre, elle va même poursuivre cette démarche pédagogique dans une école primaire de Montréal, notamment pour apprendre aux élèves à protéger leur identité en ligne.

Un enfant d’âge scolaire peut très bien saisir le vertige qui peut nous prendre devant la manne de signes produite par tous. « Nous sommes passés dans une autre société, dans un autre monde, résume Mme Petitgand. J’essaie d’analyser ce que j’appelle le mouvement mercantile et transactionnel, qui fait en sorte qu’on partage énormément de données parce que notre société en a fait une monnaie d’échange. »

Ce modèle lucratif s’étend de plus en plus. Tout le monde s’est habitué à la gratuité des services numériques et s’attend en fait à ce que les services soient gratuits. En contrepartie, les entreprises demandent des informations ensuite utilisées pour des opérations commerciales.

Certaines pratiques génèrent en plus un sentiment de perte de contrôle. Mme Petitgand cite des études internationales montrant les attentes évidentes des citoyens demandant que leurs données soient gardées dans des lieux sécurisés, de préférence dans leur pays. Ils veulent décider des usages et en souhaitent surtout un qui soit favorable au bien commun.

Follow the money

La spécialiste refuse toutefois d’expliquer la captation des informations uniquement par la recherche du profit. Elle rappelle que toutes les entreprises ne captent pas des informations personnelles pour les revendre et que la majorité d’entre elles se conforment largement à la loi québécoise de septembre 2021 sur la protection des renseignements personnels, la loi 25.

Cela dit, elle s’inquiète de notre capacité collective à limiter le flux de captation des grands groupes mondiaux, comme Google ou Facebook. Elle parle d’un « manque à gagner » pour des organisations qui pourraient énormément bénéficier de ce flux avec des intentions différentes pour le bien commun.

J’essaie d’analyser ce que j’appelle le mouvement mercantile et transactionnel, qui fait en sorte qu’on partage énormément de données parce que notre société en a fait une monnaie d’échange.

Paradoxalement, la population se soumet souvent volontairement à l’emprise des géants du Web. Mme Petitgand cite l’exemple des positions géographiques des usagers d’appareils connectés. Quand des gouvernements ont proposé des applications pour suivre les déplacements et les contacts des citoyens pendant la pandémie, certains sont devenus extrêmement méfiants, alors qu’ils acceptent la même pratique de grandes entreprises privées.

Le développement fulgurant de l’intelligence artificielle générative ajoute des inquiétudes. Là encore, les usages se font au profit de quelques groupes industriels, mais les débats demeurent cantonnés à des poignées d’experts. « Je dis donc qu’il faut démocratiser le discours et multiplier les actions pour mieux informer sur ce qu’on fait avec les informations, mais aussi pour consulter les gens sur ce qu’ils attendent, les engager dans les projets et leur donner du pouvoir dans les organismes de gouvernance. »

Ses recommandations fondamentales se résument à quatre axes : informer, consulter, collaborer et donner du pouvoir. « Il y a des initiatives intéressantes, par exemple en santé, où je travaille le plus. Il existe des comités consultatifs sur le numérique, mais il nous manque vraiment une orientation centrée sur la réflexion et l’engagement des citoyens. Il y a un énorme programme à mettre en place pour favoriser la conscientisation du numérique. »

Données personnelles. Reprenons le pouvoir !

Cécile Petitgand, Presses de l’Université Laval, Québec, 2024, 75 pages

Donnant données

« Les données, ce sont des informations numérisées, mais elles ne le sont pas toutes, explique la spécialiste Cécile Petitgand. Les données numériques sont utilisées pour informer, analyser, influencer des décisions et des comportements. Elles existent dans une très grande variété. Je m’intéresse aux données personnelles. Il en existe plusieurs définitions. Les juristes diraient que les données personnelles sont notamment capables d’identifier un individu directement à l’aide de renseignements sur son âge ou son adresse. Je vais à l’encontre de la thèse voulant qu’une fois anonymisées, pour des statistiques gouvernementales par exemple, ce ne sont plus des données personnelles. Je définis les données comme une chaîne, une relation. Les enquêtes le montrent : même quand les données personnelles sont anonymisées, les gens veulent savoir à quoi elles servent parce qu’ils y voient encore une part de leur intimité déversée sur le Web. Je dis donc qu’il faut au moins informer l’autre partie quand on est un utilisateur de données et qu’il faut aussi montrer tous les bénéfices produits grâce à ces informations. »



Une version précédente de ce texte a été modifiée, Cécile Petitgand a travaillé au CHUM comme conseillère en innovation technologique et comme coordonnatrice de l’initiative d’accès aux données de la direction de la recherche du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. De plus, la loi québécoise sur la protection des renseignements personnels date de septembre 2021.

 

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