Irene Taylor dans l’intimité de Céline Dion
Née dans le Missouri en 1970, maintenant installée à Portland, en Oregon, Irene Taylor a signé une quinzaine de documentaires. Élevée par des parents sourds et aujourd’hui mère d’un garçon malentendant, elle a souvent placé au coeur de ses films des êtres humains présentant une grande capacité de résilience face au deuil, à la maladie ou à un handicap.
Via Zoom, la réalisatrice de I Am: Celine Dion (Je suis : Céline Dion), un film de 104 minutes qui sera accessible aux abonnés de Prime Video dès le 25 juin, nous parle de ses motivations. « Je crois fermement au pouvoir du documentaire. Je souhaite toujours que mes films parviennent à sensibiliser les gens. J’ai chaque fois l’espoir qu’ils permettent à certains de changer d’attitude, d’adopter un nouveau point de vue sur les personnes qui vivent avec un handicap, une maladie ou tout autre obstacle placé sur leur route par l’existence. Cela dit, il serait malhonnête de prétendre que c’est ce que j’avais l’intention de faire quand j’ai commencé à imaginer le film consacré à Céline, puisque comme le reste du monde, je ne connaissais rien de son état de santé. »
C’est dans le travail, quelques mois après le début du tournage, que la réalisatrice a su que la chanteuse était atteinte du syndrome de la personne raide, un trouble neurologique rare qui entraîne des raideurs, des spasmes et des déformations posturales. « Je ne savais pas à quel point elle était malade et encore moins qu’elle souffrait depuis de nombreuses années. Je ne suis donc pas arrivé là avec une cause à défendre. C’est en discutant avec elle, en apprenant à la connaître que j’ai compris l’ampleur de la situation. Dans le processus, j’ai décidé de m’intéresser très peu à son passé, de me concentrer sur son présent. Je n’avais pas envie de faire une rétrospective de sa carrière, mais bien de dresser le portrait de la femme qu’elle est aujourd’hui, un portrait dans lequel la maladie occupe une place importante, bien entendu, mais pas toute la place. »
Une traversée à deux
Est-ce que Céline Dion aurait retenu les services d’Irene Taylor à cause de sa filmographie empreinte d’honnêteté et d’empathie ? « C’est une bonne question, reconnaît la réalisatrice. Seule Céline pourrait y répondre. Évidemment, aujourd’hui, avec le recul, on pourrait imaginer qu’elle m’a en quelque sorte choisie comme confidente. Chose certaine, elle en savait plus que moi au moment où nous avons commencé les tournages. Je ne lui en veux pas de ne pas avoir mis cartes sur table dès le départ, parce qu’une nouvelle pareille, ce n’est pas quelque chose de facile à annoncer à qui que ce soit. »
Tout ce que Céline Dion aurait demandé à la réalisatrice, c’est que le documentaire ne soit pas l’un de ceux où des spécialistes en tous genres commentent la carrière et la vie d’une artiste. « Hormis cela, explique Taylor, elle n’avait pas d’idée préconçue de ce que devrait être le film. Elle était au milieu d’une période remplie d’inconnu et c’est pour cette raison, je crois, qu’elle m’a autorisée à entrer dans sa maison. Il était très clair, dès le départ, qu’elle avait quelque chose de grave à traverser et qu’elle tenait à le faire en ma compagnie. »
En 2023, Irene Taylor a réalisé Trees, and Other Entanglements, un film dans lequel il est question de la profonde et complexe relation qui unit les humains et les arbres. Impossible de ne pas faire un lien avec une métaphore employée par Céline Dion dans le documentaire qui lui est consacré : la chanteuse se compare à un pommier qui, après avoir donné de magnifiques fruits rouges et luisants pendant de nombreuses années, se désole de voir que plus une seule pomme ne pousse sur ses branches maintenant courbées, alors qu’une foule de gens les mains tendues continuent d’espérer des fruits.
« J’ai trouvé cette image très belle, explique Irene Taylor, mais j’ai aussi trouvé que Céline était trop dure envers elle-même. Elle n’est certainement pas un arbre qui est sur le point de tomber ! Elle ne produit pas de pommes pour le moment, voilà tout. Hier, un admirateur a écrit quelque chose de très émouvant sur Internet : “Céline, nous ne sommes pas là pour les pommes, nous sommes là pour le pommier.” Évidemment, ça a beaucoup touché Céline. »
Réconfort et validation
La réalisatrice ne serait pas fâchée que son film apporte du réconfort à Céline Dion. « Je n’ai pas fait le documentaire pour que Céline se sente mieux. Ce que je voulais, c’est dresser d’elle un juste portrait. Cela dit, j’espère qu’elle va ressentir de la validation grâce au film. Elle a longtemps eu peur de dire la vérité, parce qu’elle pensait qu’on ne la croirait pas, ou encore qu’on la trouverait pleurnicheuse, comme une enfant gâtée qui s’inventerait des excuses pour ne plus exercer son métier. Bien entendu, tout cela est on ne peut plus faux. »
Quand on assiste à cette longue scène, vers la fin du documentaire, où Céline traverse une violente crise, où des spasmes se produisent dans tout son corps, il est difficile de rester incrédule. « Il y a plusieurs raisons pour lesquelles cette séquence a été conservée, explique Taylor, mais je veux que vous sachiez que Céline a vu la scène et qu’elle n’a pas souhaité que je l’enlève ni même que je l’écourte. J’étais prête à modifier le montage, à ajouter des moments plus légers, mais elle tenait à ce que je montre au monde la réalité de ce qu’elle vivait. »