L’éducation devrait être l’espérance d’un monde meilleur

«L’école est le fondement même de notre démocratie et elle a pour objectif d’amoindrir les effets de la pauvreté dans notre société et non de les amplifier — comme c’est le cas présentement avec l’école à trois vitesses», écrit l’auteur.
Illustration: Tiffet «L’école est le fondement même de notre démocratie et elle a pour objectif d’amoindrir les effets de la pauvreté dans notre société et non de les amplifier — comme c’est le cas présentement avec l’école à trois vitesses», écrit l’auteur.

Une fois par mois, Le Devoir d’éducation veut proposer des contributions enrichissantes, qu’elles proviennent de chercheurs et de praticiens du milieu de l’enseignement ou d’autres personnes qui ont réfléchi à l’état de notre système d’éducation.

Voilà tout près de cinq ans que j’ai effectué ce changement de carrière, engagez-vous, qu’ils disaient. Certains matins, je mets sérieusement en doute mon choix d’avoir répondu à l’appel de la pénurie en éducation, beaucoup de matinées m’attristent et plusieurs m’ont poussé à écrire — sans cesse. Bienvenue dans le grand monde de l’enseignement au primaire.

Un instant, je vous reviens, « Comment dis-tu, Juliette ? Exact, tu n’auras pas d’orthopédagogie ce matin, Mme Rose est partie en arrêt de travail et il n’y a personne pour la remplacer et nous sommes toujours en attente de la deuxième orthopédagogue depuis septembre. Personne n’a encore pris ce poste, donc je ne pense pas que tu auras ton aide supplémentaire pour un petit bout, ma chouette. »

Mais bon, je m’y ferai !

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Comme je le disais, aussitôt mes premières journées terminées, voire mes premiers mois, je me suis vite senti interpellé face à mon nouveau quotidien qui n’avait rien de reluisant. Habité, pour ne pas dire ensorcelé, par une certaine obligation d’agir pour le bien-être de nos enfants. Mais par où commencer, dans ce système qui requiert une procédure écrite pour changer une ampoule ? Je vais devoir vous revenir de nouveau, un petit instant s’il vous plaît.

« Rajdeep, bonne nouvelle, à défaut d’être dans une classe d’accueil, tu auras droit à du soutien linguistique, par contre ce ne sera que 30 minutes par semaine et dans un groupe de trois élèves. Alors, utilise bien tes outils, n’hésite pas si tu as des questions et je vais écrire à tes parents dans le but de bien faire le suivi à la maison. » « My parents don’t speak French. » « Tes parents ne parlent pas français… » Mais bon, je m’y ferai !

Exutoire

Merci de votre patience. Donc, je me suis mis à écrire pour avoir une forme d’exutoire, pour mettre sur papier les absurdités qui affectent le parcours de nos enfants et qui ne le devraient pas, de mon oeil qui venait de l’externe et qui ne comprend toujours pas pourquoi il y a eu environ 30 ministres de l’Éducation au cours des 60 dernières années, pourquoi un enseignant n’aura jamais à se faire évaluer, pourquoi il y a un écart d’environ 40 000 $ entre le premier et le dernier échelon, qui ne sera atteint que 16 ans plus tard et le fameux Voldemort de l’éducation, le devoir de loyauté.

Ah misère, deux petites secondes… « Les amis, je vous ai demandé de faire attention lorsque vous ouvrez la collation fournie par l’école, vous n’avez qu’à me le demander si vous avez de la difficulté. » Mille excuses, ce n’est pas facile pour des petits cocos de première année d’ouvrir des contenants de fruits dans le sirop sans en mettre partout, ne vous en faites pas, car M. Simon va nettoyer et coupera dans la pédagogie faute de temps. Mais bon, je m’y ferai !

Où en étais-je ? Ah oui, beaucoup de choses sont à repenser. Ce qui nous mènerait à de grandes réflexions sur des questions fondamentales telles que : est-ce que la formation des enseignants est encore adéquate ? Est-ce que l’État devrait toujours et encore avoir le dernier mot sur l’éducation de nos bouts de chou ? Est-ce que nous ne devrions pas retrouver une direction pédagogique ainsi qu’un gestionnaire d’établissement dans chaque école primaire ?

Pourquoi pas un système de nourriture universel pour chaque élève ? Est-ce que le syndicat a un mot à dire sur la pédagogie qui se fait en classe ? Quel est le vrai rôle des centres de services et de ses bureaucrates ? Devrions-nous avoir un ordre professionnel ? Souhaitons-nous le retour de plusieurs classes spéciales ? Quelle est la vraie autonomie professionnelle de l’enseignant ? Quel sera le rôle de l’Institut national d’excellence en éducation ?

Ding ! Un petit moment, je viens de recevoir un courriel provenant de l’école de mon fils. « Chers parents, ce message est pour vous aviser que Mme Clara devra s’absenter pour une durée indéterminée, veuillez être certains qu’il y aura un adulte dans la classe jusqu’au retour de l’enseignante… » Lorsque ce n’est pas comme professeur, eh bien, c’est comme parent… En espérant éviter le dénouement de l’année dernière avec la classe de mon autre fils, où des suppléants se sont succédé de mars à juin à la suite d’un courriel semblable. Mais bon, je m’y ferai.

Histoire

« Les amis, venez vous asseoir au coin lecture, c’est l’heure de notre petite histoire. “Il était une fois, il y a de cela très, très longtemps, la société québécoise a mis sur pied le ministère de l’Éducation à la suite des recommandations du rapport Parent.” Alex, est-ce que tu peux ne pas déranger tes amis pendant que je parle s’il vous plaît ? Tes souliers vont dans tes pieds et non sur ta tête. On me regarde maintenant. “Donc, depuis ce temps, soixante années se sont écoulées, amenant avec elles un lot incroyable de changements dans le quotidien de tout un chacun.” Imaginez les enfants, dans ce temps, les professeurs fumaient dans les classes et l’Internet n’existait pas. » « Les professeurs vapotaient dans l’école, M. Simon ? Si l’Internet n’existait pas, comment faisaient-ils pour regarder YouTube ? » Bon, je vais laisser faire finalement.

Ding ! (bruit de courriel entrant) « M. Simon, je doute que mon fils puisse avoir ce type de comportement en classe, êtes-vous certain que ce n’est pas quelqu’un d’autre qui dérange la classe pendant votre histoire plate sur notre système d’éducation ? Il ne fait jamais cela à la maison, ses souliers sont toujours dans le portique. Peut-être que revoir le fonctionnement de la classe pourrait l’aider à participer davantage et à ne pas déranger si ce que vous dites est vrai. Signé : les parents d’Alex. » Eh lala ! Merci de votre précieuse collaboration, chers parents.

Revenons à nos moutons. Six décennies pour atteindre ce niveau d’éducation qui n’obtient pas la note de passage. Les actions prises au fil des dernières années n’auront eu que l’effet de deux Tylenol pour combattre un cancer généralisé. Il y a eu bien sûr des changements, des réformes et surtout… des cafouillages.

Personne ne peut réfuter ces constats lorsqu’on regarde l’état des lieux : vétusté des écoles, pénurie d’enseignants, la qualité du français chez nos élèves, et j’en passe. Comme certains disent à propos de la grève générale illimitée de 22 jours, nous pouvons y aller de la même affirmation en ce qui a trait à l’aboutissement de nos écoles — tout ça pour ça.

Commission Parent 2.0

Attendez-moi, il me reste quelques corrections à terminer en ce samedi : « J’ème bocou les pomme et le fromaje. » Ouf ! Difficile de penser que le français est une priorité lorsque les bibliothèques sont sans bibliothécaire, que l’école est relocalisée depuis trois ans et que les élèves n’ont pas accès à ce lieu si précieux pour le développement de l’amour de notre langue et de notre culture. Mais bon, je m’y ferai !

« Désolé, Logan, je sais que tu as faim, par contre le service de collations débute dans les premiers jours d’octobre et nous sommes mi-septembre, tu es certain que tu n’as pas de collation et que tu as faim ? Mais bon, tu t’y feras ! »

Vous savez, c’est ici que je trace la ligne, je suis incapable de m’y faire jour après jour et de laisser l’injustice et l’iniquité sociale prendre davantage d’espace dans nos écoles. Cet établissement est le fondement même de notre démocratie et elle a pour objectif d’amoindrir les effets de la pauvreté dans notre société et non de les amplifier — comme c’est le cas présentement avec l’école à trois vitesses.

L’éducation devrait être l’espérance d’un monde meilleur, j’ai bien dit l’espérance, le souhait d’un endroit où chaque enfant a des chances de réussite et que la pauvreté financière et intellectuelle aille se faire voir ailleurs.

Pour ce faire, nous devons refaire le casse-tête qu’est l’éducation, mais par où commencer ? Voilà ! Une commission Parent 2.0 qui redéfinira le mot — école — et tout ce qu’elle entoure. Bien évidemment que le système ne deviendra pas parfait du jour au lendemain, ça risque d’être long et parfois pénible, par contre nous aurons une finalité commune, qui est l’éducation de nos enfants.

Avec cette commission, nous allons réfléchir à un idéal de ce que devrait être un système d’éducation en 2024. Par la suite, toutes les décisions qui seront prises doivent et devront aller dans le sens d’atteindre ces objectifs fixés à long terme. Partir des besoins de l’élève et non des demandes syndicales, de la vision partisane de l’État ou de la bureaucratie aliénante qui mettent en péril trop souvent les apprentissages de l’élève.

De plus, il faut se souvenir que définir ce dont l’enfant a besoin n’est pas nécessairement ce qu’il désire. Mettre une structure en place pour sa progression et non pour qu’il soit le roi de l’école, lui imposer une rigueur face à ses apprentissages en lui donnant des chances de réussite pour l’amener à la vraie liberté, celle de s’accomplir.

Désolé, je vais devoir vous quitter finalement cette fois-ci. « Les amis, nous allons devoir sortir de la classe, Taz fait sa crise ce matin et je ne veux que personne soit blessé en recevant une chaise sur la tête. La psychoéducatrice est en rencontre avec la DPJ et la technicienne en éducation spécialisée est absente à la suite d’un coup reçu la veille par un élève de sixième année. »

Des suggestions ? Écrivez à Dave Noël : dnoel@ledevoir.com.

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