Désavoué par les urnes, Emmanuel Macron dissout l’Assemblée nationale

Pour Emmanuel Macron, cette déroute aux élections européennes apparaît non seulement comme une défaite de son gouvernement, mais comme un échec personnel.
Photo: Hannah McKay Agence France-Presse Pour Emmanuel Macron, cette déroute aux élections européennes apparaît non seulement comme une défaite de son gouvernement, mais comme un échec personnel.

Coup de théâtre en France ! La large victoire du Rassemblement national (RN) aux élections européennes avait été annoncée par tous les sondages. L’actualité suivait donc son cours jusqu’à ce que, à la surprise générale vers 21 heures, le président Emmanuel Macron annonce en direct à la télévision la dissolution de l’Assemblée nationale et déclenche des élections législatives.

Personne ne s’attendait à un tel coup de tonnerre. Emmanuel Macron a donc choisi d’abattre son jeu et d’en appeler aux urnes face à une victoire historique du parti d’extrême droite. Avec 31,5 % des voix, le RN décroche un résultat encore jamais vu dans un scrutin européen depuis celui de Simone Veil (UDF-RPR) il y a 40 ans. Mais ces élections représentent surtout une véritable déroute pour le parti présidentiel, qui n’atteint même pas la moitié du score de son rival (14,5 %) et arrive pratiquement ex aequo avec la liste socialiste dirigée par Raphaël Glucksmann (14 %).

« Après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote, a déclaré le président. Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale. Je signerai dans quelques instants le décret de convocation des élections législatives, qui se tiendront le 30 juin pour le premier tour et le 7 juillet pour le second. »

La décision a provoqué un véritable coup de tonnerre, même si, depuis plusieurs semaines et porté par les sondages, Jordan Bardella réclamait « solennellement » au président de la République « de prendre acte de cette nouvelle donne politique » et « d’organiser de nouvelles élections législatives ».

Le geste est historique, mais correspond à l’esprit de la Ve République. Contestés dans les urnes, le général de Gaulle et François Mitterrand ont plusieurs fois dissous l’Assemblée nationale. La dernière dissolution remonte à Jacques Chirac en 1997. Elle avait entraîné l’élection du socialiste Lionel Jospin à la tête du gouvernement et plusieurs années de cohabitation entre un président de droite et un premier ministre de gauche.

« La dissolution n’a jamais été faite pour la convenance du président, mais pour trancher une crise politique », disait Jacques Chirac. Un scénario qui pourrait bien se répéter dans moins d’un mois et voir Jordan Bardella accéder au poste de premier ministre dans quelques semaines à peine.

Ce vote est « sans appel », a tranché Marine Le Pen quelques minutes à peine après l’annonce de la dissolution. « Nous sommes prêts à exercer le pouvoir si les Français nous font confiance lors des prochaines élections législatives, nous sommes prêts à redresser le pays, à défendre les intérêts de la France, prêts à mettre fin à cette immigration de masse, […] prêts à faire revivre la France. » Visiblement comblée, la dirigeante du RN a conclu que « quand le peuple vote le peuple gagne ».

Pour Emmanuel Macron, cette déroute aux élections européennes apparaît non seulement comme une défaite de son gouvernement, mais comme un échec personnel. Jamais un président ne s’était personnellement aussi investi dans une élection européenne. Contrairement à la tradition dans ce type d’élection, son premier ministre, Gabriel Attal, avait choisi de débattre directement avec Jordan Bardella. Le président poussant même ses prérogatives jusqu’à proposer un débat à Marine Le Pen et utilisant les célébrations du 80e anniversaire du débarquement de Normandie pour tenter de convaincre les électeurs.

Pour le journal Le Parisien, qui a documenté la progression du vote du RN à l’occasion de cette élection, il ne s’agit pas d’une « percée », mais d’un véritable « raz de marée ». Sur la carte que publie le quotidien, à l’exception des grandes villes, presque toute la France est bleue. À trois semaines du premier tour des élections législatives, le premier parti de France se présente donc en position de force. Les sondages lui accordent une majorité de députés. Reste à savoir dans quelle proportion et si cela pourra se faire sans coalition.

Dimanche soir, la campagne semblait avoir déjà commencé. « Estomaqué par un tel comportement », le socialiste Raphaël Glucksmann semblait déjà avoir oublié sa bonne performance. « Macron a obtempéré aux exigences de Jordan Bardella, disait-il. C’est un jeu dangereux avec la démocratie et les institutions européennes. » Le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui n’a fait campagne dans cette élection que sur la Palestine, a appelé dans son style habituel « la nouvelle France » à « se dresser ». Éric Zemmour, le président de Reconquête, dont la liste a tout juste dépassé les 5 % permettant d’accéder au Parlement européen, en a appelé à l’union des droites. « J’en appelle au Rassemblement national, refusez le monopole qui ne conduit qu’à la défaite, acceptez la coalition. »

Le plus sonné par cette annonce semblait être la tête de liste des Républicains, François-Xavier Bellamy, dont le parti risque littéralement de se déchirer entre un soutien à la majorité et au RN. Parmi les plus inquiets, on retrouvait de nombreux élus de la majorité qui, face à la progression annoncée du RN, risquent de perdre leur siège, même si l’un des soutiens historiques d’Emmanuel Macron, François Bayrou, a salué « une prise de risque » du président pour « sortir le pays du marasme ».

À quelques semaines des Jeux olympiques, la France se retrouve donc plongée dans des élections historiques, qui pourraient très probablement donner le pouvoir au Rassemblement national et propulser Jordan Bardella au poste de premier ministre.

De nombreux analystes, comme l’ancien baron du Parti socialiste Julien Dray, évoquent « un coup de poker ». Un mot repris par Le Figaro, où Guillaume Tabard écrit qu’« en tentant un coup de poker, Emmanuel Macron joue les apprentis sorciers ».

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