DARKMATTER: «Rendre visible l’invisible»

Photo du spectacle « Darkmatter » de Cherish Menzo.
Photo: Bas de Brouwer Photo du spectacle « Darkmatter » de Cherish Menzo.

Du 7 au 9 février sera présentée à l’Usine C la nouvelle création de Cherish Menzo, DARKMATTER. Inspirée par l’afrofuturisme et le post-humanisme, cette artiste néerlandaise passionnée de fiction propose de pousser la réflexion sur la représentation des corps noirs dans nos espaces, de dépasser les stéréotypes et de s’imaginer de potentiels avenirs. 

« DARKMATTER est la suite de Jezebel, où j’ai voulu mettre l’emphase sur la représentation des femmes noires, notamment à travers l’hypersexualisation des vidéoclips des rappeuses », retrace Cherish Menzo. C’est d’ailleurs assez rapidement que l’artiste a trouvé son nouveau titre. « À la base, ça part de l’astrophysique, décrit-elle. De la matière noire, qu’on ne peut pas apercevoir, et qui fait base de conversation sur les corps noirs, la noirceur… Je voulais créer du matériel sur ces  notions, jouer avec leur signification, rendre l’invisible visible ». 

En effet, tout en continuant à collecter des représentations des corps noirs dans la société, Mme Menzo s’est aussi penchée vers le post-humanisme pour nourrir sa recherche et élaborer sa nouvelle création. « Très vite, on se rend compte qu’on reste dans une vision très occidentale, avec un corps avec des habiletés, blanc, et souvent d’homme, alors j’ai dû approfondir davantage pour découvrir le posthumanisme noir, où on invite le corps noir à devenir central », explique-t-elle. Selon l’artiste, le posthumanisme consiste à imaginer comment décentraliser l’être humain, à penser à un monde post-anthropocène où « se connectent tous les organismes ». 

En plus du posthumanisme, Cherish Menzo s’est aussi beaucoup inspirée de l’afrofuturisme pour élaborer DARKMATTER. « Il est présent dans la littérature, la musique, les films, etc. Certains penseurs et artistes prennent en compte le passé, le colonialisme, notamment, alors que d’autres construisent leur pensée comme si ça n’avait pas existé. Ça donne des propositions vraiment intéressantes, où la spiritualité a une place plus importante, par exemple », poursuit-elle. C’est à travers toutes ses recherches que Cherish Menzo a élaboré DARKMATTER, une pièce interdisciplinaire où « toutes les entités coexistent ensemble ». « Il y a de la danse, mais aussi de la vidéo, du texte, des lumières, des sons. Les éléments ne sont pas là pour supporter le corps qui bouge », dit-elle.

Distordre pour construire 

« J’aime provoquer l’ambivalence, créer des espaces troublants », affirme Mme Menzo. En plus du posthumanisme et de l’afrofuturisme, de multiples inspirations ont alimenté son exploration, par exemple le travail musical de Drexciya, un duo électronique de Détroit, la technique « chopped and screwed » empruntée du hip-hop, l’opéra Troubled Island de William Grant Still ou encore DJ Screw de Houston, au Texas. « J’aime beaucoup sa distorsion du son, des paroles de rap qui ralentissent, etc., dit-elle. Je me suis demandé comment implanter tout ça dans un corps qui bouge, ou encore dans le texte. » 

La distorsion est alors devenue un élément central dans DARKMATTER, et pas seulement dans la musique. « Il existe des limites corporelles, c’est sûr, mais j’ai essayé de les repousser, d’aller loin, de créer un corps plus malléable, d’implanter des stratégies pour pousser sa transformation. » Le temps est lui aussi métamorphosé, distendu, allongé dans la proposition artistique de Mme Menzo. « La temporalité lente, non linéaire, ça crée quelque chose d’un peu intouchable, d’insaisissable. J’ai voulu plonger dans ce que signifie “un entre-deux”. Pour nous, les performeurs, DARKMATTER ne peut pas se faire en autopilote. Cet entre-deux nous pousse à l’hypervigilance, à être toujours prêts. Ça crée l’incarnation et le côté performatif de la pièce, selon moi. » 

Pour Cherish Menzo, DARKMATTER invite au voyage. « Peu importent les différents backgrounds des gens du public, j’aimerais qu’ils plongent dans la pièce. » Elle remet en cause les codes classiques d’un spectacle, notamment parce qu’il n’y a pas de logique de narration derrière, pense-t-elle. « Je pense que ça déstabilise, que ça peut provoquer des sensations désagréables, mais que ça permet de comprendre mieux les codes ensuite. » 

« C’est politique dans les nuances que ça apporte », pense Cherish Menzo. En effet, bien qu’elle n’ait pas voulu prendre une position politique avec DARKMATTER ou faire un statement, elle pense que l’art est forcément un acte politique. « Ça peut être critique ou empathique, mais ça a toujours un rapport avec le temps dans lequel on vit, donc c’est politique, conclut-elle. Et dans mon milieu, la représentation du corps a une place très importante. Ça m’a amené des inconforts, je me suis heurtée à des discriminations, alors j’ai simplement voulu mettre en question ce que j’ai vécu, en discuter, conclut-elle. Je n’ai pas envie de raconter des histoires qui existent déjà, mais de les regarder et voir comment créer des fictions spéculatives autour d’elles. » 

DARKMATTER

de Cherish Menzo. À l’Usine C, du 7 au 9 février.

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