«Lili St-Cyr»: les nuits de Montréal
Créée à Kingsey Falls l’été dernier, la comédie musicale Lili St-Cyr est de passage ces jours-ci au théâtre du Nouveau Monde, là où s’érigeait autrefois le Gayety, théâtre emblématique du Montréal de l’après-guerre où se produisit, de 1944 à 1951, la célèbre effeuilleuse américaine Lili St-Cyr. Grâce à ce spectacle drôle et émouvant, les fantômes du Red Light de Montréal sont plus vivants que jamais.
Avec les créatrices de La Corriveau et de La Géante, Geneviève Beaudet et Audrey Thériault, le trio à l’origine de Lili St-Cyr, Mélissa Cardona (texte), Kevin Houle (musique) et Benoît Landry (mise en scène), contribue significativement à la construction d’un répertoire de comédies musicales québécoises. Si ces productions aux sujets que certains diront historiques, d’autres nostalgiques, ne sont certes pas d’une criante actualité, elles ont la grande qualité d’être mises au monde ici avec soin, débrouillardise et talent.
« Les bras de la ville sont ouverts, venez danser à l’endroit, à l’envers. » C’est avec cette ritournelle que les protagonistes de Lili St-Cyr nous font entrer dans le Montréal de Camillien Houde et de Maurice Richard, cette ville décadente où plaisir est synonyme de jeux, d’alcool et de burlesque. Entre Thomas Cloutier (Maxime Denommée), le timide gérant de salle du Gayety, et Jimmy Orlando (Stéphane Brulotte), le fanfaron propriétaire du El Morocco, la guerre est ouverte. C’est à qui réussira à engager Lili St-Cyr, la blonde effeuilleuse dont le nom est sur toutes les lèvres.
La mise en scène ingénieuse s’appuie sur le décor minimaliste et malgré tout très évocateur de Marilène Bastien, des tulles qui maintiennent le mystère, des structures roulantes qui, éclairées avec soin par Martin Sirois, font renaître les cabarets enfumés. On passe des loges aux escaliers, des passerelles aux ruelles, de l’aéroport où l’avion de la vedette vient d’atterrir au Forum bondé un soir de match décisif. Grâce aux paroles truculentes et aux musiques entêtantes, les chansons, dont 13 ont été endisquées, restituent brillamment l’époque.
Dans le rôle-titre, une femme dont le libre arbitre est indéniablement féministe, Marie-Pier Labrecque est irrésistible. Magnifiquement vêtue par Sylvain Genois, sublimée par les chorégraphies d’Alex Francoeur, sa Lili est à la fois grandiose et fragile, divine et pourtant bien humaine, impériale et néanmoins assoiffée d’amour. « Je suis un puits sans fond », répète-t-elle. Pour ce personnage comme pour les autres, Cardona a su miser sur les contradictions, les aspirations inassouvies, donnant ainsi à ses créatures un surcroît d’humanité.
Chanteuse, Sophie Leblanc rêve de voir son nom sur la marquise à la place de celui de Lili. On croit d’abord qu’elles sont rivales, et puis on se rend compte qu’elles sont les deux faces d’une même médaille. Dotée d’une voix aussi puissante qu’expressive, Lunou Zucchini excelle dans le rôle de Sophie. Quand elle chante En colimaçon, vibrant hommage à son père-forteresse, elle donne au spectacle son moment le plus émouvant.
Kathleen Fortin est Jessie Fisher, la conseillère municipale qui se bat pour mettre fin au Montréal que Lili St-Cyr incarne. Dans ce rôle de pionnière un brin puritaine, la comédienne, qui possède on le sait une voix exceptionnelle, communique toute sa conviction. Des flammèches résultent de chacune de ses altercations avec Roger La Rue, qui campe un animateur de radio rétrograde agissant en quelque sorte comme le narrateur de l’aventure. La Rue incarne plusieurs autres personnages avec une aisance admirable et un comique ravageur.
Bien que le spectacle dure 2 h 25, il faut reconnaître que la fin est un peu abrupte. Petit bémol qui n’entache absolument pas le grand plaisir que la soirée procure. On se réjouit de savoir que Cardona et Houle travaillent à une nouvelle comédie musicale qui devrait voir le jour en 2025.