«Norman c’est comme normal, à une lettre près»: soutenable légèreté de l’être
C’est sous les ricanements des enfants spectateurs que Norman s’avance devant la scène tout en tournoyant. « Pour la première fois, lui et sa robe pointent le nez dehors. » Fier de porter ce vêtement pour se rendre à l’école, il raconte en huit actes la traversée qui ne sera pas de tout repos.
Rires, moqueries, regards obliques, jugements susurrés par les badauds et autres figurants de cette banlieue parfaite, l’entourage de Norman (Quentin Chaveriat) n’est pas disposé à recevoir ni à accepter ce petit garçon ainsi « déguisé ». Fils unique, il n’a pas plus, du moins au départ, l’approbation de ses parents. « À 7 ans, on est déjà un homme et, si pas, on doit commencer à faire semblant », lui lance son père (Antoine Cogniaux) d’un air détaché. « La couleur rose cache une grande souffrance […] C’est un maquillage, le rose », ajoute sa mère (Deborah Marchal) avec conviction.
Produite par le théâtre bruxellois Kosmocompany, Norman c’est comme normal, à une lettre près est une ode à la différence, à la recherche et à l’acceptation de soi, mais surtout à la liberté d’être. L’autrice Marie Henry parvient, avec une finesse enviable, à parler avec intelligence de la diversité sans jamais tomber dans la morale, le didactisme ou, pire, le convenu. Elle a l’art de saisir un sujet répandu et d’en faire du théâtre. Non pas un pamphlet sur la différence présenté de manière frontale, comme on en voit trop souvent, mais du théâtre grossissant les traits, débordant du cadre, offrant avant tout une histoire aussi folle que touchante.
Narré à la troisième personne, le texte est porté par une écriture décomplexée, humoristique, pince-sans-rire, par la répétition de mots, de phrases, par l’épellation qui permettent d’insister sur certaines idées tout en créant l’hilarité dans la salle.
Crescendo de bien-être
Le tout ne serait bien sûr pas aussi porteur de sens sans la polyvalence et la précision de jeu des trois comédiens. Quentin Chaveriat joue un Norman candide, timide, mais tout à la fois débordant de vivacité, offrant un personnage entier et tout à fait crédible. Antoine Cogniaux porte tour à tour avec une apparente facilité les rôles du père, d’un passant méprisant, d’une professeure et d’autres figures aussi différentes qu’hilarantes. Deborah Marchal assure quant à elle avec autant d’aisance une enfilade de rôles distincts, mais reste admirablement puissante dans celui de la « grosse tante », soeur du père.
Divisée en huit actes, l’histoire est portée par la musique et la danse, qui ne font pas que servir le propos, mais deviennent partie prenante, indissociables des personnages et de l’histoire. Chaque acte équivaut pratiquement à une performance, si bien que les spectateurs, complètement absorbés par cette mise en scène haute en couleur, applaudissent, tapent du pied, participent à cette traversée qui mènera Norman, son père, sa mère et sa tante vers un bien-être assumé.
Les ricanements timides du début entendus lorsque Le Devoir a assisté à la pièce au théâtre Les Gros Becs, à Québec, laissent ainsi rapidement place à des rires francs, encourageants, à des applaudissements sentis jusqu’à cette finale où la folie présente sur scène, ce désir d’être soi sans entrave, est plus que contagieuse. Moment théâtral rare et fabuleux.