Filles d’amour ou de combat
Deux fois reportée à cause de la pandémie, la pièce de Fanny Britt et Alexia Bürger, très librement inspiré par Lysistrata d’Aristophane, tient enfin l’affiche du théâtre du Nouveau Monde. Pour la metteuse en scène Lorraine Pintal, qui quittera son poste de directrice artistique et générale à la fin du mois d’août après plus de 30 ans à la tête de l’institution montréalaise, la création de Lysis, tragédie contemporaine et féministe, revêt certainement un caractère bien particulier.
Lysis est responsable de la recherche et du développement dans une grande entreprise pharmaceutique gouvernée par un groupe d’hommes qui refuse de cesser la production d’un médicament contre l’infertilité qui provoque des effets secondaires dangereux pour la santé mentale des femmes. Afin de renverser cette situation, mais aussi de mettre des bâtons dans les roues du patriarcat et de freiner les dérives du capitalisme, Lysis démissionne et enclenche, avec le collectif de militantes féministes auquel elle appartient, rien de moins qu’une trêve de la natalité.
Dans l’espace épuré qu’a imaginé Dominique Blain, une scénographie basée sur une riche utilisation des volumes, un lieu d’une envergure tragique où les éclairages mouvants de Martin Sirois occupent une place cruciale, on observe d’abord les réunions du conseil d’administration, les conférences de presse et les pratiques de golf. Puis ce sont les manifestations qui envahissent le plateau, nourries par les projections de Lionel Arnould. Au rythme enlevant de la musique originale de Philippe Brault, interprétée par trois musiciennes situées en fond de scène, on assiste au déferlement de la violence policière, à l’adoption d’une loi spéciale rendant illégale toute affiliation à la grève des naissances, puis à la mort terrible d’une manifestante.
En militantes, Cynthia Wu-Maheux et Olivia Palacci sont, dans deux registres fort différents, plus grandes que nature. Dans le complet du premier ministre, Jean-Philippe Perras est odieux à souhait. Interprétant Théo, l’amoureux de celle qui est tombée pour la cause, Philippe Racine est très émouvant. Quant à Bénédicte Décary, elle a toute la lumière, tout le charisme que nécessite le rôle-titre. Malgré le talent des 14 comédiennes et comédiens, la portion chorale de la représentation, cet assemblage pourtant soigné de gestes et d’incantations, ne passe que très rarement la rampe. De manière générale, le spectacle de Lorraine Pintal, propret, peine à traduire la colère, la violence, la cruauté des manifestations.
Portée par de nobles intentions, truffée de vibrants hommages aux luttes des femmes, la pièce développe peu les grands enjeux. Plutôt que d’étoffer le discours des militantes, de donner de solides assises théoriques à leur soulèvement, les autrices ont privilégié les dimensions intime, familiale, relationnelle. C’est un choix qui se défend, mais qui empêche la révolution de s’opérer pleinement. Dans un spectacle de tout près de deux heures, la scène la plus efficace est sans contredit celle où la distribution entonne Une sorcière comme les autres, la chanson écrite et composée par Anne Sylvestre en 1975. Mais ce moment bouleversant est un couteau à double tranchant puisqu’il cristallise brillamment les enjeux de la pièce… tout en « volant le show ».