Notre sélection poésie du mois de juin

Dérives

Annie Molin Vasseur affronte la fin d’un temps où les mots portaient le sens du futur, effrités au fil des âges. Recueil opaque qui s’adresse à une humanité quelque peu abstraite, qu’elle regarde navrée. Le souhait de bonheur se dilue dans une abstraction souvent mal arrimée à des réalités pourtant perceptibles : « Gardienne des mémoires / tu croyais ne jamais voir se tarir / un sable pour le pas / un horizon à franchir / marcher sur terre / et regarder l’océan / tu vogues sur les livres / des petits bateaux. » Beau, certainement ; clair, moins certain. Passent çà et là les guerres, les désordres de l’histoire. Et la poète cherche s’il y a moyen de réciter autrement Le requiem des mots, d’en tirer encore un sens tendu vers l’avenir. Entre « un petit boiteux », « un bébé cassé » ou « le petit chat est mort » (citant Molière), la parole se cherche. Ainsi l’autrice laisse-t-elle « venir la mémoire / dans ce qui coule d’encre / des mains des poètes » et répète un « va » comme un incantatoire désir de pousser plus loin la quête d’une parole encore efficace.

Hugues Corriveau

Le requiem des mots
★★★
Annie Molin Vasseur, Les Écrits des Forges, Trois-Rivières, 2024, 64 pages

 

Divination

Marianne Martin dit s’inspirer de La voie du tarot, d’Alejandro Jodorowsky. On aurait aimé le mieux sentir. Or, l’autrice déjoue le sérieux en facéties, comme nous le prouve le titre de son second poème : « Vous ne verrez jamais mes pieds », qui se réfère à la carte de La Papesse sur laquelle on ne les distingue justement pas. Y a-t-il lieu de se confondre ici en recherches psychocritiques ? Non pas ! Mais faut-il croire en un message subliminal lorsque la poète rappelle : « moi je m’enfarge encore / dans mes valises d’insignifiances » ? Il y a lieu parfois de le penser. En fait, on ne saisit pas trop de quoi parle ce recueil, allant un peu partout au gré des dérives suscitées par les cartes du tarot. On peut trouver quelques détails pouvant s’y associer, mais le parti pris surréaliste, sinon automatique, s’impose, étourdit et tourne à vide. On apprend dans sa présentation que « ses ami.e.s lui demandent régulièrement de baby-sitter leurs chats lorsqu’iels partent en voyage ». Est-ce que ce serait tout dire ? Non, mais on espère qu’un second recueil nous mènera à mieux saisir cette entreprise effilochée.

Hugues Corriveau

C’est juste un jeu
★★1/2
Marianne Martin, Poètes de brousse, Montréal, 2024, 88 pages

 

Écho d’outre-monde

Germaine Beaulieu a déjà abordé, dans une trilogie poétique, le deuil et l’appréhension de notre finalité, mais peut-on jamais se défaire de l’emprise de la mort ? Son plus récent recueil, Murmure à l’inconnu, nous invite « au huis clos de l’abîme » où « le temps / fabrique la mort ». L’instance poétique encaisse le départ de sa grande sœur, partie rejoindre le pays « des sans-corps ». Prenant acte de ce qui est perdu, elle interroge ce qui reste et, incidemment, la place qui lui revient désormais : « À la rive des disparus / Que reste-t-il de soi. » L’ossature des poèmes repose sur des vers courts, soufflant un rythme égal, parfois répétitif. Bien campé au cœur de son sujet, le recueil accuse de nombreuses métaphores descriptives, où la surcharge d’images nous garde en périphérie de l’émotion. Est-ce parce que certaines propositions éculées — « Conjuguer le verbe être / À tous les temps » — agacent ? On en perd la force de moments précieux, où chaque mot touche la cible : « Nos voix dépourvues / Vont au chagrin / Puiser consolation. »

Yannick Marcoux

Murmure à l’inconnu
★★★
Germaine Beaulieu, Mains libres, Montréal, 2024, 114 pages

 

Cigares au chou

L’arrivée d’Akim Gagnon sur la scène littéraire n’est pas passée inaperçue. Avec sa langue dévergondée et jubilatoire, tressée dans une vulnérabilité bien sentie, il a su incarner une figure dont la familiarité sympathique donne envie de tendre l’oreille. Son plus récent recueil de poésie, Deux pour un — littéralement deux recueils en un, édités tête-bêche —, laisse cependant dubitatif. La première proposition, Galvaude, fait écho à ses romans, avec ses vers qu’on aurait voulu plus tassés, mais dont les images saugrenues jonglent avec de multiples émotions, créant d’habiles tensions qu’un esprit cabotin récupère pour notre bon plaisir. La seconde proposition, Le chevalier blanc, serait quant à elle la réécriture, de mémoire, d’un recueil qu’aurait jadis écrit son père pour « sa muse française ». Le poète sent le besoin de libérer sa psyché et sa plume du souvenir de cet « amalgame d’espoir romantique et très cheap pour des feelings flous ». La démarche, aussi honnête soit-elle, mène à un résultat pénible. Quelle était l’intention d’Akim Gagnon ? Hommage au paternel, démocratisation du vers ou étude sociologique ? Même au second degré, on s’ennuie un peu. Le mystère du chevalier demeure entier.

Yannick Marcoux

Deux pour un
★★1/2
Akim Gagnon, Hurlantes éditrices, Montréal, 2024, 132 pages

 

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