«Sang d’encre»: un trouble constat

Depuis la saga Harry Potter, on sait que J.K. Rowling aime raconter des histoires complexes, longues et… fertiles en imagination. Ceux qui ne l’avaient pas encore remarqué constateront à quel point cela est tout aussi vrai quand elle prend le pseudonyme de Robert Galbraith.

C’est un peu ce qui explique qu’on sorte de Sang d’encre — la sixième enquête, déjà, de Cormoran Strike et Robin Ellacott — avec une drôle d’impression : celle d’avoir « bingé » trois ou quatre saisons d’une série télé truffée de personnages et d’intrigues complexes mettant en relief le monde, disons, « difficile » dans lequel nous vivons.

Au menu de cette solide brique de 1000 pages : cyberintimidation, vol d’identité, réalité virtuelle, violences, racisme à la petite semaine et suprémacisme (blanc, évidemment). Sans parler des tricheries et des escroqueries en tous genres qui tissent le quotidien ordinaire de nos journées. Le monde des sorciers est bien loin ; place aux magouilles « ordinaires » !

Tout cela s’amorce avec le succès foudroyant d’un dessin animé encore plus trash que South Park : Sang d’encre. L’animation a pour cadre un cimetière, met en scène un coeur noir d’encre (Harty) et fait intervenir des corps en décomposition, des squelettes, un démon (Drek) et un fantôme… La série pulvérise les records de visionnement sur YouTube, et Netflix vient d’en acheter les droits de diffusion. En parallèle, un jeu en ligne, Le jeu de Drek, s’en inspire et gagne de plus en plus d’adeptes, au point de devenir « culte ». On parle même d’une version de Sang d’encre pour le grand écran ! Mais voilà que les deux concepteurs du dessin animé sont agressés brutalement dans le cimetière où la série se déroule : l’un meurt et l’autre en sort paraplégique.

Or, la créatrice assassinée était passée au bureau des deux détectives : harcelée en ligne par l’animateur du Jeu de Drek, un certain Anomie, elle voulait mettre un terme à tout cela en identifiant la personne cachée derrière ce pseudonyme. Surchargés de dossiers, Ellacott et Strike se lancent tardivement à la poursuite d’Anomie pendant que les cadavres s’accumulent. Ils se voient du coup plongés dans une affaire impliquant des terroristes d’extrême droite, des humains ordinaires déboussolés et toute une faune déjantée vivant tout autant — sinon plus — dans un univers virtuel que dans la réalité.

L’intrigue, qui met un peu de temps à démarrer, trace un portrait à la fois sombre et complexe, déchiré par des tensions de toutes sortes, qui ressemble à s’y méprendre… à ce que nous abordons en nous levant chaque matin. Comme à l’habitude, les personnages sont solides et l’écriture de Galbraith-Rowling, fort bien servie par la traduction, prend diverses formes pour décrire tout cela en s’inscrivant toujours avec justesse au milieu des fractures que nous connaissons tous. Voilà une histoire à paliers multiples décrivant un monde où les repères habituels s’estompent.

Ça vous rappelle quelque chose ?

Sang d’encre

★★★ 1/2

Robert Galbraith, traduit par Perrine Chambon, Grasset, Paris, 2024, 1000 pages

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