«Marie-Line et son juge»: transfuges de l’âme
Marie-Line, 25 ans, travaille comme serveuse dans un café au Havre, afin de subvenir aux besoins de son père dépressif, cloîtré dans leur modeste maison depuis qu’un accident lui a fait perdre sa jambe. Flamboyante avec ses cheveux rose bonbon et ses tenues colorées et bigarrées, elle a tôt fait de tomber dans l’oeil d’Alexandre, un client d’origine aisée qui rêve de faire du cinéma. Or, le fossé culturel s’étend tel un abîme entre les jeunes amoureux.
En tentant de regagner le coeur d’Alexandre, Marie-Line perd son emploi et se retrouve devant la justice pour coups et blessures envers son ancien amant. Le juge chargé du dossier, un client du café renfermé et sinistre, la condamne à une amende de 1500 euros ; somme qu’elle est bien incapable de payer. En échange du même montant, le magistrat propose à la jeune femme de le conduire au travail et à ses différents rendez-vous durant un mois. À bord de la voiture bringuebalante de Marie-Line, la première ravivera sa curiosité, tandis que le second fera entrer la romance et les maracas dans une existence morne et sans joie.
Avec son quatorzième long métrage, le prolifique cinéaste français Jean-Pierre Améris (Les émotifs anonymes [2010], L’homme qui rit [2012]) offre coeur et âme à une formule mille fois revisitée, dans laquelle deux générations — et deux cultures — s’entrechoquent pour donner naissance à une tendresse féconde.
Fable émouvante sur le déterminisme social, Marie-Line et son juge — en suivant le schéma narratif de la comédie romantique — n’évite pas certains clichés, développements attendus et excès de sentimentalisme. Par souci de rythme, les personnages sont souvent réduits à des caractéristiques convenues en lien avec leur position dans la société, sans toutefois que leur évolution en soit décrédibilisée.
Si la formule lève néanmoins, c’est d’abord grâce à l’interprétation touchante et nuancée de Louane Emera — qui confirme ici son talent après le succès de La famille Bélier (2014) — et du toujours excellent Michel Blanc. Leur complicité, leur écoute, leurs façons subtiles et orientées de combler les silences rendent naturelle la convergence de leurs deux solitudes vers un meilleur destin, aussi romanesque soit-il.
À travers un récit somme toute banal, le scénario de Jean-Pierre Améris et Marion Michau — librement inspiré d’un roman de Murielle Magellan — évoque également sans trop se mouiller les dommages des privilèges de classe et d’un système de justice à deux vitesses, ainsi que ce mal moderne qu’est celui du ghosting, cette technique qui consiste à disparaître de la vie de l’être aimé plutôt que d’assumer la fin de sa relation.
Le fait que ce récit classique se déroule sur les panoramas grandioses de la ville portuaire du Havre ne nuit pas à la réussite globale de l’ensemble, tout comme la bande originale émouvante et mélancolique de Guillaume Ferran. Un parfait plaisir d’été.